Avant de déclencher à Madagascar un mouvement de lutte contre les mauvaises pratiques politiques et la corruption, Razafisambatra Louis de Mon Désir lance une dernière offensive diplomatique et politique aux juristes et aux juges nationaux, pour que l’État de droit ne perde pas un œil.
Évidemment, nos juges sont mieux placés pour savoir que les stratégies de contournement de l’État de droit se manifestent sous plusieurs facettes; en l'occurrence, le comble du paradoxe de l’État de droit est visiblement atteint quand certains états, au nom du parallélisme des compétences internes et externes, imposent des solutions résultant de leur législation interne, et qu'au nom du caractère exclusif de la dite compétence externe ils procèdent à une ratification autonome de conventions internationales conformes à leurs intérêts.
La justiciabilité des droits économiques et sociaux est une question récurrente, quand bien même au regard des jurisprudences nationale, régionale et internationale, il ne subsiste aucun doute sur le caractère essentiellement justiciable de l'ensemble des droits garantis.
Ces jurisprudences mettent en évidence l'indivisibilité des droits fondamentaux et leur exigibilité quel que soit le niveau de développement de l’État en cause.
Il n'est pas de peu d'importance de rappeler que les droits de l'homme permettent de s'opposer à la terreur politique et à l'exploitation économique. L'indivisibilité proclamée par les auteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme s'est imposée grâce à l'œuvre des juges et à l'apport fécond de la doctrine.
En outre, le patrimoine juridique de l'humanité nous permet de considérer qu'héritant du jus cogens social, la Déclaration sociale acquiert un caractère impératif.
De même, depuis les années 1980, la clause sociale est mentionnée dans les traités multilatéraux
Dans des droits des sociétés étrangers, la technique dite de la levée du voile permet de rendre une société mère responsable des actes d'une société filiale. Cette technique permet de faire face à l'argument de l'autonomie juridique des sociétés et par delà , de la non responsabilité de la société mère vis à vis des autres sociétés.
Mais force est de constater dans notre pays que le travail décent prôné depuis des décennies par l'Organisation internationale du travail (OIT) n'est pas du tout respecté. Bon nombre de travailleurs malgaches embauchés par quelques investisseurs devenus propriétaires par un coup de baguette magique de grandes surfaces aux alentours du building Ramaroson à Behoririka n'ont pas de caisse de retraite et de contrat de travail; il en est de même pour les vendeurs de crédit de téléphone au bord des rues. Pour pouvoir vendre sur une étagère de 0,50 mètre de long, de petits marchands paient mensuellement à ces extra terrestres une somme de trois millions de francs malgaches.
Vous imaginez combien coute le loyer d'un pavillon de commerce. Autant dire l'adage malgache « tompony mangataka ny atiny » est revenu, qui signifie, au second degré, qu’on devient étranger sur sa terre natale.
La constitution, texte emblématique de consolidation des droits, est maintes fois bafouée. Des socles réformateurs, sensés être les vitrines sociales des institutions, sont inexistants. Les droits sociaux pâtissent jusqu'aujourd'hui d'un statut de droits de l'homme de dixième rang, démunis de protection juridictionnelle. En dépit de l'universalité des droits de l'homme, Madagascar dégénère en cimetière des droits fondamentaux. On ne se soucie même pas que, s'il y a à gagner collectivement au respect de ces droits, quel est le niveau de régulation le plus adapté.
Par ailleurs, il est tout à fait courant que certains investisseurs malveillants osent imposer des solutions extrajudiciaires avec versement de sommes d'argent et des accords comportant une clause de non imputabilité qui leur permet de se dégager de toute responsabilité pour infraction à la loi. L'une des problématiques afférentes est que ces accords créent un jeu de frottement propice aux influences, parce que le système national se soumet lui-même à d'autres contrats dictés de l'extérieur; et surtout que le traitement normatif des droits fondamentaux de l'homme au travail par exemple dans un contexte de mondialisation montre que la structure pyramidale du droit s'est déjà transformée en réseaux.
Madagascar sombre dans une situation de violation massive, systématique et aigüe des droits de l'homme. Les dérives à la logique constitutionnelle font presque partie de la culture politique. C'est bien là que le bât blesse. Les détenteurs du Pouvoir actuel sont bien loin de la philosophie volontariste fondée sur le dialogue pour s'engager sur la pente de la coercition. Ils ferment les yeux devant les trafics illicites de main d'œuvre, qui frôlent les formes modernes d'esclavage.
En outre, l'enjeu complexe est que non seulement le droit à la protection sociale n'est pas le cadet des soucis des dirigeants, mais encore cette dernière est au cœur des rapports de force noués sur le plan international; et ceci, sans entrer dans les détails du droit de regard des institutions internationales sur les systèmes de sécurité sociale dans le monde; le silence est également éloquent face aux formes de protectionnisme moderne, remarquables à maints égards.
C'est pour toutes ces raisons que je m'adresse particulièrement aux juges malgaches.
Certes, les bonnes intentions ne se matérialisent pas nécessairement en histoires à succès dans la pratique. Mais quand la violation des droits fondamentaux est consubstantielle à un régime politique, au moins les juges ont le droit de s'interroger sur le sens de l'efficacité. En effet, les divergences créent une dynamique plutôt favorable aux droits de l'homme et peuvent inspirer un dialogue spontané et fructueux entre juges.
De même, la compétence internationale erga omnes reconnue au juge par les traités est le résultat d'une lutte de longue haleine. Dans l'état actuel de notre pays, le recours au juge est une arme efficace contre les diverses manipulations tant au niveau national qu'international. L'action en justice est une des voies pour faire progresser les droits de l'homme dans une économie mondialisée, préférable aux pots de vin et à la corruption excessive nuisibles à l'intérêt supérieur de la nation. Nos juges sont tenus d'impulser un continuum normatif auquel se soumettent tous les dirigeants politiques. Dans le respect de l’État de droit, il incombe à votre responsabilité de ne pas laisser la population désespérément à la traine. Pour parer aux risques de distorsions commerciales et d'exploitation abusive, il vous appartient d'établir un socle obligatoire de droits au profit de l'ensemble des travailleurs concernés.
Il est complètement dans votre prérogative de faire reconnaître solennellement aux investisseurs de mauvaise foi l'existence d'un socle universel d'obligations lié à l'appartenance à l'organisation internationale du travail et les obliger à respecter le concept de régime de travail réellement humain.
L'impulsion d'une relecture imaginative et inventive de la constitution fait bien partie de votre pouvoir discrétionnaire.
Certainement, votre éventuel immobilisme ne saurait justifier l'espèce de fétichisme textuel auquel ALBERT Thomas faisait déjà référence en 1927 et qui consistait selon lui à admirer dans une impuissance prolongée des dispositions idéalement justes mais inappliquées.
Sans vouloir vous donner de leçon, je me permets de mettre en exergue que de par votre fonction, il est de votre devoir de vous assurer que L’État de droit exerce un impact concret et vérifiable sur l'évolution positive des réalités malgaches.
J'espère votre aimable compréhension, parce que je ne fais qu'actionner mon droit de laisser à votre pouvoir d'appréciation les coudées franches en vue de la recherche de solutions appropriées. En effet, nous vivons dans une époque délicate dans laquelle certaines démarches relèvent d'une vision où tant de normes juridiques sont instrumentalisées, comme c'est le cas de certains mécanismes de régulation qui dissimulent une normativité de fait, c'est à dire non délibérée.
En clair, pour faire dissiper une certaine confusion, le moment est venu pour les juges et les juristes malgaches de faire valoir leur titre honorifique en refusant la violation de L’État de droit par le Président de la République et toute sa clique. Je ne suis pas dans une illusion d'optique, mais je vous pousse à ne pas perdre de vue le non respect de la logique constitutionnelle par le Président Hery Rajaonarimampianina et son équipe. Je ne suis pas dans un langage archaïsant, car je tiens balance égale entre les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux.
Grâce à votre honnêteté intellectuelle, l'État de droit ne s'égarera pas dans une myopie théorique et ne perdra pas un œil à Madagascar.
Paris, le 25 juillet 2016
Razafisambatra Louis de Mon Désir
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