Le temps passe, les hommes trépassent. Il y a ceux qui n’auront rien laissé de bien mémorable en héritage à la postérité, il y a ceux dont le nom restera éternel dans l’Histoire même de l’humanité.
Ainsi du R.P. Paul-François de Torquat, décédé le vendredi 10 mars 2017 à Lille. Il avait 91 ans. Jésuite, il a été recteur du collège Saint Michel d’Amparibe sur lequel il a rédigé un ouvrage qui restera pour la postérité : «Le collège Saint-Michel 1888-1988».
Comme vous l’avez deviné, c’était à l’occasion du centenaire de ce collège catholique de grand renom. "Miorim-paka hanasoa olona" ("S'enraciner au service des autres"). Telle est la devise créée et mise en pratique par le Père De Torquat en cette année1988.
Le père de Torquat est aussi l’auteur d’un ouvrage intitulé «Caractéristiques de l'éducation jésuite» (Rome, 1986 - éditions Foi et Justice, 1995) : « Découvrir la joie d’apprendre et la soif d’une connaissance toujours plus grande et profonde » … Par ailleurs, le P. François de Paul de Torquat -qui a bien connu le Professeur Siméon-Régis Rajaona (décédé le 23 juin 2013)- a écrit la préface du livre posthume de celui-ci, intitulé: « « Mon corps soupire après toi ».
Le R.P. Paul-François de Torquat a également piloté la paroisse francophone internationale à Antananarivo. C’est fou, mais c’est lorsqu’un personnage d’envergure disparait que l’on se souvient de beaucoup de « choses de la vie ». A commencer par des baptêmes… Avant un baptême, il y a la naissance, puis la vie et enfin la mort qui n’est pas une fin en soi, mais un passage vers d’autres pâturages…
A présent, le Seigneur est le Berger du R.P. Paul-François de Torquat. Il est quasi assuré qu’il ne manquera de rien...
10 ans après, tout cela semble n'être plus que littérature, hélas...
Je lui rends hommage, à travers un texte -ci-après- de Jacques Salomé, psychosociologue et écrivain français. Et, franchement, je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai choisi ce texte.
Reposez en paix, Paul-François de Torquart s.j.!
Jeannot Ramambazafy – 13 mars 2017
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CE QUE LA VIE M'A APPRIS
Je devrais plutôt tenter de dire ce que les rencontres, les séparations, les découvertes, les éblouissements comme les désespérances m’ont appris dans le sens de me découvrir, de me construire, d’influencer le déroulement de mon existence.
J’ai ainsi appris que la vie n’est faite que de rencontres et de séparations et qu’il nous appartient de les vivre en acceptant de nous responsabiliser face à chacune.
J’ai appris encore qu’il y a toujours une part d’imprévisible dans le déroulement des jours et donc qu’il m’appartenait de savoir accueillir les cadeaux inouïs ou les blessures qui peuvent surgir dans l’immensité d’un jour.
J’ai appris bien sûr à vivre au présent, à entrer de plain-pied dans l’instant, à ne pas rester enfermé dans mon passé ou me laisser envahir par des projections sur un futur trop chimérique.
J’ai appris tardivement à remercier, chaque matin, la Vie d’être présente en moi et autour de moi, à l’honorer chaque fois que cela m’est possible, à la respecter en toute occasion, à la dynamiser avec mes ressources et mes limites.
J’ai appris difficilement à m’aimer, non d’un amour narcissique ou égocentrique (même si la tentation était grande) mais d’un amour de bienveillance, de respect et de tolérance.
J’ai appris avec beaucoup de tâtonnements à me respecter en osant dire non quand je suis confronté à des demandes qui ne correspondent pas à mes possibles ou à ma sensibilité.
J’ai appris avec enthousiasme que la beauté est partout, dans le vol d’un oiseau, comme dans le geste d’un enfant pour tenter de capter le vol d’un papillon ou encore dans le sourire d’un vieillard qui croise mon chemin.
J’ai appris patiemment que nul ne sait à l’avance la durée de vie d’un amour et que toute relation amoureuse est une relation à risques. Des risques que j’ai pris.
J’ai appris douloureusement que je n’avais pas assez pris de temps pour regarder mes enfants quand ils étaient enfants, que j’aurais dû savoir jouer et rire avec eux, plus souvent et surtout chaque fois qu’ ils me sollicitaient ; que je n’avais pas su toujours les entendre et les accueillir dans leurs attentes profondes et surtout que j’avais trop souvent confondu mon amour pour eux avec quelques unes de mes peurs, tant je voulais le meilleur pour eux, tant je désirais les protéger des risques (que j’imaginais) de la vie.
J’ai appris avec beaucoup de surprise que le temps s’accélérait en vieillissant et qu’il était important non pas d’ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années.
J’ai appris malgré moi que je savais beaucoup de choses avec ma tête et peu de choses avec mon cœur.
J’ai appris que je pouvais oser demander, si je prenais le risque de la réponse de l’autre, aussi frustrante ou décevante qu’elle puisse être, que je pouvais recevoir sans me sentir obligé de rendre, que je pouvais donner sans envahir l’autre et refuser sans le blesser.
J’ai appris sans même le vouloir, que j’avais des besoins et qu’il ne fallait pas les confondre avec des désirs.
J’ai appris avec soulagement que je pouvais désapprendre tout l’inutile dont je me suis encombré pendant des années.
J’ai appris joyeusement à planter des arbres. C’est le cadeau le plus vivant que je peux faire jusqu’à ma mort à cette planète merveilleuse qui a accueilli mes ancêtres et surtout mes géniteurs.
J’ai appris doucement à recevoir le silence et à méditer quelques minutes chaque jour pour laisser aux vibrations de l’univers la possibilité de me rejoindre et de m’apprivoiser encore un peu.
Oui j’ai appris beaucoup et pourtant je cherche encore l’essentiel.
Jacques Salomé