30 ans ! On se connaissait depuis 30 ans Franck Raharison et moi. Trois décennies durant lesquelles chacun de nous est demeuré journaliste avec, certes, un parcours peu similaire, mais avec la même conviction guidé par l'amour du métier et la défense de la profession. Je n'ai pas de mots à écrire (mais ils viendront plus tard...), étant encore un peu souffrant au moment où je rédige ces quelques lignes. D'où ma mise volontaire sur la liste des abonnés absents... momentanément. Aussi, je laisse la place à mon autre confrère de «Madagascar Tribune», James Ramarosaona, le soin de vous faire connaître un pan du parcours de combattant (dans tous les sens du terme) de mon rédacteur en chef à Ankorondrano, de 1988 à 2005 -17 ans-. Au revoir Franck !
Jeannot RAMAMBAZAFY
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De gauche à droite : Adelson Razafy, Martial Vanivato (+), Stéphane Jacob (+), Franck Raharison (+), James Ramarosaona
Franck RAHARISON
Le parcours d’un enfant terrible du journalisme
Ce dimanche 19 janvier 2020, très tôt dans la matinée, un coup de fil du PDG de La Gazette, Lola Rasoamaharo, me met dans une situation plus qu’embarrassante : «Telle est la nouvelle : Franck est mort !». Je suis submergé par une vague d’émotions et de souvenirs. Une semaine auparavant, je venais de perdre mon beau-père, et je me retrouve dans un découragement lent et tenace comme une reddition imparable face à un coup qu’on a longtemps vu venir sans pouvoir l’éviter et évoquant la mort.
Franck Raharison, ancien DG de la Rédaction de «La Gazette de la Grande Ile» est décédé dans la force de l’âge -70 ans- après un bref séjour d’hospitalisation. Les mots me manquent pour exprimer mon désarroi. Bref, trêve de lamentations : ainsi va la vie !
Franck fait figure de l’ancienne génération des journalistes qui ont primé avant tout l’information, alors que c’est un journaliste formé sur le tas. Historien de formation (dans une université française), il a publié son premier article dans le quotidien de référence international «Le Monde» le 27 octobre 1980. Ce qui lui a valu une «expulsion» dans son pays natal.
Rentré à Madagascar, il hésitait à entrer dans la profession d’enseignant universitaire avant de choisir la presse écrite, dans le mensuel «Revue de l’Océan Indien» (ROI) de feu Georges Ranaivosoa, où il n’avait pas fait long feu. Et Franck d’atterrir à Antsahavola, chez le seul quotidien national privé de l’époque «Madagascar Matin» sous la direction de Jacob Andriambelo. Il avait, en ces temps, comme collègues les Arsène Ralaimihoatra, Stéphane Jacob et Christian Chadefaux (ces deux derniers sont décédés).
Après des tribulations au sein de «Madagascar Matin», il a franchi le Rubicon en montant un troisième quotidien national privé «Madagascar Tribune» chez la S.M.E («Société Malgache d’Edition») de feu Rahaga Ramaholimihaso en décembre 1988. Début 2003, il claquait la porte et releva le défi de bouleverser le paysage médiatique malgache, en montant en mars 2003, et pour la première fois, «La Gazette de La Grande Ile», un quotidien indépendant national dont les principaux actionnaires sont des journalistes eux-mêmes. Il en est de même pour la société éditrice de presse : «Madagascar Presse et Edition» (MPE).
Cette poignée de collègues est composée de Lola Rasoamaharo, Salomon Ravelontsalama (à l'extrême-gauche sur la photo ci-dessus), Adelson Razafy et James Ramarosaona ainsi que Patrick Andrianjafy et Franck Raharison, tous deux actuellement disparus. Franck ne s’est jamais mouillé dans la politique et s’est placé en grand observateur de la vie politique pour ne pas dire un des faiseurs d’opinion. Beaucoup de politiciens, de différents bords se souviennent de ses articles palpitants et de ses critiques piquantes.
Je me souviens encore des réactions enflammées des Serge Zafimahova (proche de Zafy Albert), Herivelona Ramanantsoa (proche de Didier Ratsiraka),  Didier Rakotoarisoa (proche de Marc Ravalomanana) et Ny Hasina Andriamanjato, pour les politiciens encore en vie, sur des papiers parus dans Tribune et La Gazette. Sans être opposant du régime en place, Franck disait toujours qu’un journal doit être à 51% contre-pouvoir.
De plus, en sa qualité de journaliste indépendant, Franck a contribué en partie à la marche de notre république vers une société plus juste. On peut être d’accord ou contre avec ses manières et attitudes, mais le fait est là : Franck a bien formé une bonne partie des journalistes. Il a appris un métier qui l’habitait comme un moteur dans un corps fluet et qu’il symbolisait à ses manières. Ses propos étaient parfois durs, voire emmerdants, mais l’essentiel est retenu : l’information est sûre quelle que soit sa présentation : affirmative ou conditionnelle ou questionnement.
Les journalistes qui ont évolué sous la diligence de Franck, tant à la Tribune qu’à La Gazette, reconnaissent en lui l’amour du métier et la défense de la profession. C’est d’ailleurs lui le premier correspondant de Reporters Sans Frontières (RSF) à Madagascar en début des années 1990. RSF est une ONG internationale qui défend la liberté de la presse dans le monde. En effet, le journaliste d’investigation burkinabé Norbert Zongo, mort le 13 décembre 1998 dans des conditions obscures à Ouagadougou, est un ami de Franck Raharison.
Pour Franck, le journaliste est avant tout l’ennemi de l’ennui. Ceci est comme un fil rouge pouvant expliquer ce qui a pu apparaître si souvent comme d’insupportables entorses à la «vérité».
De gauche à droite : Taitsy Gilbert (RNM), Franck Raharison et Anselme Randriakoto alias RAW qui a succédé à Franck lors de son départ de Madagascar Tribune en 2003
Notre collègue était un être passionné et vibrant comme parcouru en permanence d’un frisson invisible. Mais c’est aussi un bon vivant qui aime boire (comme bon nombre des journalistes) et se distraire. Chaque vendredi, à Ankorahotra (ancien siège de La Gazette), Franck se laissait à des plaisanteries avec les gardiens et les femmes de ménage du journal avant d’écrire son billet du week-end «Scanner». Et le DG de la Rédaction revient au desk le samedi- seul jour de repos des journalistes- pour son inspiration personnelle.
Comme «La Gazette» est une publication appartenant à des journalistes, il y a des moments où les actionnaires n’ont pas les mêmes points de vue. En pareille circonstance, Franck émettait sa vision sans imposer. La décision est prise à l’unanimité dans l’ensemble malgré la diversion, ce qui reste – sans fausse modestie - la force de notre journal en ce temps.
Franck, ta mort ne m’inspire pas des pensées consensuelles ! Et je demande pardon d’avance à ceux que j’aurais pu offenser. Tu étais pour moi un être cher, un guide professionnel. Ton départ est un de ces moments auxquels nous accule notre existence sur terre. Franck, le Betsileo que je suis, qui t’emmerde à des certains moments te dit en toute sincérité, Adieu !
Hommage de James Ramarosaona, publié également dans "La Gazette de la Grande île" du lundi 20 janvier 2020