Saviez-vous que l'Île Maurice est impliquée dans quatre ZES (Zone économique spéciale) en Afrique ? Elles se situent à Dawa au Ghana, à Diamniadio au Sénégal, au Port d'Ehoala à Fort-Dauphin Madagascar et au Vitib en Côte d'Ivoire.
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LA LOI SUR LES ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES (ZES),
UNE PORTE OUVERTE À L’ACCAPAREMENT DE TERRES À MADAGASCAR
Poursuivant ses actions pour la défense des terres malgaches, et pour une gestion raisonnée et durable des ressources naturelles du pays, le Collectif TANY voudrait continuer à alimenter le débat sur les zones économiques spéciales (ZES).
L’importance de l’enjeu mérite que tous les citoyens malgaches aient l’occasion de connaître les divers aspects et conséquences de ce projet et apportent leurs avis, remarques et contributions.
La loi n°2017-023 du 28 novembre 2017 relative aux ZES (1), qui a fait l’objet d’un communiqué du Collectif TANY auparavant (2), a déjà été approuvée par les deux chambres du Parlement malgache. Suite à l’affirmation par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) de la non-conformité de certains articles de la loi à la Constitution en vigueur (3), une version modifiée sera étudiée de nouveau par l’Assemblée Nationale au cours de sa session extraordinaire qui a débuté le 27 février 2018.
1/ La loi sur les ZES privera les Malgaches de l’accès à des milliers d’hectares de terres pour une période de longue durée sinon indéterminée (4).
Il faut savoir que les simples citoyens malgaches n’auront pas accès aux ZES qui seront quasiment des États dans l’État - (5), loin du contrôle des responsables malgaches eux-mêmes. Les investisseurs qui auront acquis des ZES -les développeurs - (6) seront maîtres de la gestion de ces grandes surfaces et des décisions qui y seront prises. Le contrôle des territoires échappera aux communautés locales et peut-être même aux élus (7). Beaucoup de sites au sol fertile, riches en ressources diverses et souvent proches d’un accès à la mer sont ainsi en train d’être sélectionnés et disparaîtront des zones de vie de la majorité des Malgaches pour devenir des territoires réservés principalement à des étrangers et peut-être aussi à une infime minorité de malgaches.
Les populations qui vivent actuellement sur les espaces et surfaces concernés seront expropriées (8) ou expulsées et dans tous les cas déplacées.
Les terres acquises et entretenues à la sueur du front des générations précédentes et des familles actuelles seront perdues à jamais (4 et 8) : ni leurs biens, ni leurs traditions locales ne seront sauvegardés, ni leurs racines, ni leurs liens sacrés à leur terre ne seront respectés.
2/ Perte de souveraineté de l’État et des espaces de vie pour la population
Si l’esprit de la loi dans sa première proposition est maintenu, le risque est grand de voir l’État malgache déléguer totalement la gestion des territoires sélectionnés à l’AZES, l’Autorité de régulation des ZES, dont les modalités d’application de la délégation ont été censurées par la HCC comme étant contraires à la Constitution. (3) Les agents et dirigeants de l’Etat auront très peu de moyens de vérifier ce qui se passera dans les ZES, encore moins de corriger ou rectifier les déviations par rapport aux normes internationales et à la règlementation malgache existantes. Cela est d’autant plus vrai que les responsables actuels peinent déjà à faire respecter les lois et réglementations sur certaines zones du territoire malgache vivant dans un climat d’insécurité. (9)
Les autorités malgaches n’ont de cesse de vouloir faciliter l’investissement étranger. Remarquons au passage que le FMI considère que la loi sur les ZES à Madagascar ne va pas attirer de nouveaux investisseurs en dehors de ceux qui sont de toute façon déjà prêts à venir sans cette nouvelle loi (10). Le Collectif TANY insiste, lui, sur le fait que l’exploitation des richesses de Madagascar pour une durée raisonnable et en adéquation avec l’ampleur de l’investissement est tout à fait possible sans recourir à l’attribution de vastes surfaces de terres.
Les responsables de l’État et les décideurs malgaches doivent pouvoir juger par eux-mêmes du contenu, des conditions de réalisation et des bénéfices mutuels de chaque projet d’investissement, au lieu de laisser d’autres - l’AZES et les développeurs - en décider. Ainsi, si les objectifs du projet ne convergent pas avec les intérêts de la Nation, ils peuvent et doivent le refuser. Les dirigeants malgaches doivent manifester et prouver leur capacité à gérer et à développer le pays dans l’intérêt de la majorité de la population au lieu de transférer des parties du territoire et des responsabilités régaliennes de l’État aux investisseurs (3), qui viseront principalement leurs profits car ils ne sont pas des philanthropes.
La future ZES, située dans le Nord de Madagascar, qui a fait l’objet d’une réunion internationale de plusieurs jours au mois de février 2018 s’étend sur 2.000 ha, une très vaste superficie (11).
A ce rythme, et étant donné la prolifération de diverses zones d’investissement annoncées dans des lois et projets de loi sur les terrains de même acabit qui feront partie «des terrains à statut spécifique» (ZIA, ZES, ZII, ZEE, etc.), Madagascar risque d’arriver à la même situation que celle du Cambodge où les citoyens vivent et les paysans cultivent sur des espaces très réduits, dans les interstices entre les grandes plantations et concessions des sociétés et compagnies souvent étrangères (12).
Cette situation cambodgienne conséquente à une politique d’accaparement de terres fait d’ailleurs l’objet d’une dénonciation des organisations non-gouvernementales internationales comme étant un crime contre l’humanité auprès de la Cour Pénale Internationale (13).
N’est-ce pas une nouvelle forme de fivarotana tanindrazana (vente de la terre des ancêtres) ? Que laisserons-nous aux générations futures ? La responsabilité des dirigeants actuels est d’éviter aux Malgaches le risque de se trouver dans une telle situation.
3/ Des communautés locales malgaches tiraillées : entre espoir d’une vie meilleure et discours trompeur
Les promoteurs de la recherche d’investisseurs à tout prix, même au détriment des droits fondamentaux de la population sur les terres, font miroiter aux communautés locales un développement, des emplois et une vie «moderne» meilleure.
Une partie de la population pourrait être tentée par l’«aventure», face aux promesses et au discours séducteur (14) des dirigeants d’autant plus qu’elle se trouve dans une situation économique toujours plus précaire. Certains citoyens se posent des questions et s’inquiètent (15), d’autres manifestent leur attachement à leurs modes de vie, à leurs sources de revenus actuelles, à leur environnement et à leur patrimoine (16).
Les exemples d’autres pays qui ont mis en place des ZES et qui ont prétendument «réussi» sur le plan économique, sont souvent cités par les promoteurs de ce concept. Or les ZES n’ont pas apporté les résultats escomptés dans plusieurs cas, notamment en Inde et en Afrique. La mise en place de ZES ne garantit donc pas toujours un succès en termes de développement pour les pays qui les ont mises en place (17).
Ces exemples montrent qu’il ne suffit pas de «croire», ce n’est pas magique.
Les retombées économiques des ZES pour la nation et les communautés locales soulèvent des questions légitimes.
Quant à l’emploi, les expériences vécues avec l’implantation de quelques grandes compagnies à Madagascar, telles que QMM et Ambatovy, nous permettent d’affirmer que l’offre, bien qu’abondante pendant la phase de construction, se réduira dans sa phase d’exploitation définitive (18).
Conclusion
Tous les décideurs malgaches devraient s’interroger sur la dangerosité de cette loi sur les ZES. Il est encore temps d’arrêter, dans l’intérêt de la Nation et des générations futures. De grosses infrastructures et des industries importantes peuvent être mises en place sans utiliser ce système qui constitue :
- un abandon volontaire des droits sur la terre, de nombreux impôts potentiels, de la souveraineté nationale,
- et, au bout du compte, une perte de la dignité du pays.
Paris, le 8 mars 2018
Le Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
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Références :
(1) Loi n°2017-23 du 28 novembre 2017:
https://www.droit-afrique.com/uploads/Madagascar-Loi-2017-23-zones-economiques-speciales.pdf
(2)
http://terresmalgaches.info/spip.php?article186
(3)
(4)
Certains mots et phrases ont été soulignés par nous-mêmes afin de les mettre en évidence.
Article 51de la loi 2017-023 -qui n’a pas fait l’objet de remarque de la part de la HCC:
« La mise à disposition des terrains au développeur se fait par le biais d’une concession foncière d’une durée maximale de 30 ans renouvelable ».
(5)
Certains mots et phrases ont été soulignés par nous-mêmes afin de les mettre en évidence.
Selon l’Article 2 de la loi 2017-023, une « Zone économique spéciale » ou « ZES » est une «zone géographique ou zone spécifique de développement délimitée physiquement bénéficiant du régime juridique établi par la présente loi, destinée à être un pôle d’investissement en offrant un environnement compétitif aux affaires et à l’investissement.
Toujours selon l’Article 2, l’«Autorité de régulation des ZES» ou « AZES » est une «autorité administrative nationale compétente pour la régulation des ZES». L’Article 17 souligne que «Sauf disposition contraire prévue par la présente loi, les autorités compétentes conservent et maintiennent la plénitude de leurs prérogatives administratives pour réguler toute activité au sein des ZES.
Les autorités compétentes peuvent toutefois déléguer à l’AZES certaines de leurs attributions y compris les questions relatives à la délivrance des permis, certificats, autorisations, approbations et enregistrements relatifs à l’emploi, à l'immigration, à la protection de l'environnement, à la sécurité, à l’enregistrement et à l’immatriculation des entreprises, à la fiscalité et aux douanes, ainsi qu’à toute autre question spécifiée aux textes d'application.
Les modalités d’application de la délégation seront précisées par des Protocoles d’Accord.»
(Cette dernière phrase a été commentée par la HCC comme étant contraire à la Constitution car permet à l’AZES d’exercer des fonctions régaliennes de l’État.)
Article7 : Les différents types d’activités qui peuvent être exercés au sein de la ZES sont, «sans que cette liste ne soit limitative :
- Les activités industrielles et agro-industrielles,
- Les activités scientifiques et technologiques,
- Les activités touristiques, Les activités financières,
- Les activités de transport et de logistique (et)
Toutes autres activités pouvant contribuer à la croissance de la ZES et qui sont conformes aux dispositions de la présente loi ».
Selon l’Article 13: «
Chaque ZES sera dotée d’un guichet unique: Le guichet unique est mis en place afin d’alléger les procédures de traitement des dossiers des investisseurs et des utilisateurs de ZES. Le guichet unique permet ainsi :
- la centralisation des demandes et leur traitement ;
- la fourniture de tout service administratif et toute information que pourront requérir les entreprises, travailleurs et investisseurs ZES ;
- la proposition aux entreprises, travailleurs et investisseurs ZES de ses services afin d’agir en qualité d’« interlocuteur unique » entre ces derniers et l’AZES;
- la délivrance sur place par les administrations représentées des agréments, permis, autorisations et services de contrôle requis par les entreprises, investisseurs, travailleurs ZES.
Article 15 : «
Le guichet unique est composé de tous les représentants de l’État des divers domaines concernés par le fonctionnement de la ZES ainsi que de toute entité servant à l’accomplissement de la mission du guichet unique, au besoin, sur décision de l’AZES.»
Les responsabilités de l’AZES et du développeur décrites dans les articles 54 à 58 renforcent l’idée que les ZES seront des Etats dans l’Etat.
(6)
Selon l’Article 2, « Développeur de ZES » : entreprise qui conçoit, finance, aménage une ZES, y fournit des services, l’exploite, l’entretien et la promeut conformément à une convention de développeur ; « Convention de Développeur » : accord conclu entre l’AZES et un développeur de la zone conformément à la présente loi et aux textes d’application qui établissent les termes et les conditions selon lesquels un développeur de la zone est autorisé à développer et viabiliser des terrains de la zone, à créer des infrastructures dans la zone et à promouvoir, exploiter, gérer la zone, ainsi qu’à offrir les services complémentaires ;
Voir également les articles 21 à 30 relatifs aux droits (et devoirs) des entreprises et développeurs.
(7)
Dans le documentaire «Je veux ma part de terre –Madagascar» montrant les réalités autour de la société QMM entre 2005 et 2013 dans la région Anosy, un député de Fort-Dauphin se plaint de ne pas pouvoir accéder au Parc d’Ehoala s’il ne demande pas une autorisation à la société canadienne chargée de la gestion du Parc. Ce Parc de 440 ha fait partie des futures ZES :
https://www.youtube.com/watch?v=RcMMExnCFpA
(8)
Certains mots et phrases ont été soulignés par nous-mêmes afin de les mettre en évidence.
Dans l’Article 2 de la loi 2017-023 sur les ZES, l’« Expropriation »est définie comme étant «une procédure permettant à la puissance publique de contraindre une personne privée à lui céder un bien immobilier ou des droits réels immobiliers pour un motif d’utilité publique, moyennant une indemnité juste et préalable ».
(9)
http://www.rfi.fr/afrique/20180306-madagascar-ras-le-bol-general-insecurite
(10)
(11)
http://matv.mg/investissements-strategiques-une-zes-a-mettre-en-place-dans-le-nord/
http://www.hitsynews.com/economie/zes-any-avaratra-tetikasa-goavana-hapetraka-aoandrakaka/
(12)
La première référence contient une carte illustrant le phénomène:
http://www.alterasia.org/201504133817/comment-chiffrer-les-concessions-de-terre-au-cambodge/
(13)
http://geopolis.francetvinfo.fr/cambodge-spolier-des-terres-est-il-un-crime-contre-lhumanite-43817
http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2012/11/cambodge-phnom-penh.html
(14)
http://www.mepate.gov.mg/zes-un-projet-de-developpement-pour-madagascar/
(15)
http://www.madagascar-tribune.com/Le-GESC-plaide-pour-protection-des,23660.html
(16)
(17)
(18)
- Dans la société QMM, selon la compagnie, le nombre d’emplois directs est passé de 4.000 pendant la phase de construction à 750 quand les opérations ont commencé, voire 620 permanents en 2014:
http://www.riotinto.com/documents/QMM_2014_rapport_developpment_durable.pdf
- Dans la société Ambatovy, selon la compagnie, il y avait plus de 18.500 emplois directs pendant la phase de construction et 3.000 pendant la phase de construction:
http://www.ambatovy.com/docs/?lang=fr&p=433
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