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Madagascar SeFaFi: l’élection présidentielle, un test de maturité démocratique

SeFaFi

SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA

Observatoire de la Vie Publique

Lot III M 33 K Andrefan’Ambohijanahary, Antananarivo 101

Tél. 032 59 761 62 Email : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

L’élection présidentielle, un test de maturité démocratique

Les 7 novembre et 19 décembre prochains, les citoyens seront appelés à élire leur président de la République. De toutes les élections présidentielles qui se sont déroulées pendant les 58 années de notre indépendance, deux seulement n’ont provoqué ni contestations radicales ni violences post-électorales : celles qui ont opposé Didier Ratsiraka à Albert Zafy en 1993 et en 1996. C’est pourquoi l’élection à venir revêt une importance capitale. Elle apporterait la preuve aux citoyens, à la classe politique et à la communauté internationale que Madagascar fait désormais partie des nations démocratiques apaisées, soucieuses d’instaurer un État de droit.

Le processus en cours : démission, intérim et affaires courantes

Nous sommes arrivés à un point de non-retour, avec la publication de la liste officielle des candidats, la démission du Président de la République et la prise de fonction de Rivo Rakotovao comme Président par intérim. Toutefois, les élections ne devraient pas occulter la gestion des affaires courantes telles que l’examen et le vote de la loi de finances dans le respect du calendrier budgétaire. L’ensemble des parlementaires devrait donc donner la priorité à leur tâche de législateurs, même pendant la campagne électorale – y compris le Président de l’Assemblée nationale. Car celui-ci, même s’il semble être la seule personnalité que les textes n’obligent pas à démissionner[1], aurait dû le faire par souci d’éthique et de parallélisme des formes. Mais il ne pourra en aucun cas utiliser les moyens et prérogatives dont il dispose du fait de ses fonctions, pour faire campagne[2]. Nous comptons également sur la sagesse et la retenue de Rivo Rakotovao, à qui l’article 8 du décret 2018-640 interdit de faire campagne : « Les personnalités nommées à des postes normalement destinés à des autorités élues ne peuvent pas participer à des campagnes électorales au titre de quelconque candidat, liste de candidats, parti ou groupement de partis politiques ou d’une option ».

Constitution et refondation

Telle que prévue par l’article 46 de la Constitution, la démission du Président de la République candidat à sa propre succession crée une situation inédite. Même si l’intention est bonne, le texte n’est pas sans contradictions ni maladresses ; ainsi, le PRM démissionnaire n’est pas habilité à faire campagne pendant le mois qui suit sa démission, soit jusqu’au 8 octobre. Par contre, une révision ou une refonte de la Constitution nécessite beaucoup de réflexion et de méthode, et il faudra y consacrer le temps nécessaire : l’Afrique du Sud a mis trois ans pour élaborer et voter sa Constitution post-apartheid. Il serait donc opportun que les candidats à la Présidence expliquent aux électeurs quelles sont les modifications qu’ils veulent apporter à la Constitution actuelle, et pourquoi ils proposent ces modifications. Celles-ci seraient alors présentées au vote du Parlement, puis à référendum, selon les dispositions de la Constitution actuelle.

Candidats, programmes et éducation électorale

Avec 36 candidats en lice, des dérives sont à craindre si le scrutin n’est pas bien encadré. Chaque électeur devrait avoir accès à leurs programmes respectifs dès l’ouverture de la campagne électorale, afin qu’il puisse se forger une opinion et affiner son choix sur des bases rationnelles, loin des coups d’éclats et des spectacles divers. De plus, le bulletin unique qui regroupera ces 36 figures devrait être dévoilé au public le plus tôt possible et son utilisation expliquée en détail pour éviter les erreurs de manipulation, portes ouvertes aux fraudes en tous genres. Dans ce cadre, l’éducation électorale est une étape indispensable pour garantir la sincérité du scrutin, alors qu’elle est trop souvent négligée chez nous. À ce propos, le SeFaFi salue les efforts fournis par les médias pluralistes tels que Midi Madagasikara ou Kolo TV qui présentent les différents candidats, et incite les autres médias à faire de même afin qu’ils honorent les principes d’équité et d’égalité prévus par la loi électorale.

Processus électoral et code de conduite pendant la campagne

À six semaines de l’ouverture officielle de la campagne électorale, les électeurs attendent toujours que la CENI leur communique les informations nécessaires sur le déroulement du scrutin. Signalons quelques-unes des incertitudes à lever d’urgence : nombre et localisation des bureaux de vote, distribution et utilisation cartes d’électeurs, large diffusion de spécimen de bulletin de vote, modalités de l’observation des élections et identité des observateurs et leur répartition sur l’ensemble des bureaux de vote), accès en ligne aux résultats… La communication de la CENI est largement dépassée en volume comme en visibilité par celle des candidats, alors que ces derniers ne font que commencer. En cas de controverse sur les résultats, ce déséquilibre inquiète. Pour ce qui est du comportement des candidats pendant la campagne électorale, un certain nombre d’entre eux ne semblent disposés à signer la charte proposée par le CRN (Conseil de réconciliation nationale). Certes, ils ne sont pas tenus de le faire, mais les citoyens attendent d’eux qu’ils fassent preuve de retenue et condamnent toute violence. Comme bien d’autres, le SeFaFi en appelle à la maturité des candidats pour qu’ils mènent des débats démocratiques à la hauteur des enjeux : vision de société préconisée, défense du programme proposé, lutte contre la pauvreté et l’insécurité, stratégie de développement économique, etc.

Le scandale des financements électoraux secrets

Dans le 4ème pays le plus pauvre du monde, Hery Rajaonarimampianina et ses soutiens auraient englouti 43 millions de dollars pour sa campagne présidentielle de 2013[3]. Soit 21,50 dollars pour chacune des 2 millions de voix obtenues, plus que Donald Trump (12,61 $) ou François Hollande (1,4 $). Et d’autres candidats ont sans doute engagé des sommes équivalentes. On en reste stupéfait : d’où vient cet argent, et sous quelle forme a-t-il été remboursé ? Avant même le début officiel de la campagne électorale, on voit déjà les moyens conséquents déployés par certains candidats. Qu’en sera-t-il pendant la campagne elle-même ? Les citoyens en connaissent les dérives : distributions de toutes sortes - y compris de billets de banque -, concerts, et même une tombola !, achat et location de véhicules tout-terrain ou d’hélicoptères… Si nos dirigeants aussi bien nantis n’ont pas honte de mendier des financements électoraux auprès de la communauté internationale, celle-ci fait mine d’ignorer ces réalités pourtant largement connues de tous. Malgré la réticence avérée des partis politiques ou les pratiques dévoyées des hommes politiques, il est indispensable de poursuivre les efforts pour une règlementation plus stricte, plus complète et plus transparente du financement des partis politiques et des campagnes électorales.

Élections législatives et communales

Ne perdons pas de vue, pour autant, les échéances électorales à venir : législatives d’avril 2019 et communales d’août 2019. Car l’élection d’un Président ne suffit pas à garantir la bonne marche des affaires étatiques. Les législatives et les communales constituent même les échéances électorales les plus importantes : elles permettent d’élire les représentants de la population chargés d’élaborer et de voter les lois de la République (législatives), ainsi que les responsables qui fourniront aux citoyens des services administratifs de proximité (communales). Devraient aussi enfin suivre les élections régionales et provinciales. Il est donc crucial de se pencher dès maintenant sur l’organisation de ces scrutins dont les échéances s’approchent à grands pas.

Appel à la participation et enjeux des élections

Dans son communiqué du 1er avril 2017, le SeFaFi s’inquiétait de l’accroissement régulier des abstentions lors des élections successives. Nous ne retenons ici que les chiffres des élections présidentielles de 1993 et de 2013 :

 

Année

Électeurs

enregistrés

Voix

exprimées

Population

% inscrits/

population

% votants/

population

% votants/

inscrits

1993

6,130,016

4,532,035

12,081,083

50,74%

37,7%

73,93%

2013

7,969,119

3,851,460*

22,609,139

35,24%

17,03%

48,32%

* 2ème tour

Il en ressort que moins d’un électeur sur deux a voté en 2013 et que l’ensemble des électeurs ne représentait que 17% du corps électoral, ce qui jette un doute sur la représentativité et la légitimité des élus. Cette désertion des urnes est surtout l’effet du découragement ou de l’exaspération des citoyens face au comportement de la classe politique. Or seuls les citoyens sont en mesure de tenir tête aux politiciens avides de pouvoir et dépourvus de tout sens de l’intérêt général. Ne soyons donc pas dupes du cirque électoral qui s’annonce. Plutôt que des spectacles, exigeons des débats et des engagements concrets. Osons sanctionner par le vote. Et ne laissons pas les autres bourrer les urnes en votant à notre place… Soyons vigilants, mais surtout, soyons citoyens, participons.

Les enjeux de ces élections sont de taille car il y va de l’orientation et de l’avenir du pays. Les effets des décisions et orientations qui seront prises par le prochain Président impacteront en effet sur nos conditions de vie, notre économie, nos finances et l’état de notre société bien au-delà des 5 ans du mandat présidentiel. Le vote constitue l’une des occasions pour le citoyen de faire entendre ses préoccupations en choisissant le programme politique qui répond le mieux à ses attentes et aspirations. Il permet aussi de sanctionner les responsables qui n’ont pas tenu leurs promesses, qui ont fait preuve de leur incapacité à respecter les lois de la République ou qui se sont fait remarquer par la mauvaise gouvernance, le népotisme et la corruption. Les électeurs ont le destin de la nation entre leurs mains, ils ont le devoir de d’assumer cette responsabilité en toute connaissance de cause. Leur participation est cruciale pour faire émerger les meilleurs des 36 candidats en lice.

Antananarivo, 27 septembre 2018



[1]. Les membres du gouvernement et les personnes exerçant de hautes fonctions de l’État doivent démissionner en vertu de la Constitution, art. 64, et de la loi 2018-008, art. 6.

[2]. Constitution, article 46, dernier alinéa.

[3]. Source : M. Wally, Réglementation du financement des partis politiques et des campagnes électorales, étude comparative des pratiques en espace francophone, décembre 2016.

Mis à jour ( Vendredi, 28 Septembre 2018 19:07 )  
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