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Droit d’auteur : « Mangina zaza », un cas aussi étrange que troublant

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En écoutant et réécoutant l’album CD « Mikea Forest Blues » de Vinson and Masoandro Band (voir nos archives à propos de cet album), le morceau intitulé « Mangina zaza » a profondément attiré mon attention. En effet, je l’entendais déjà durant mon enfance. Seulement, j’ignorais tout de son auteur. Et, en faisant des recherches personnelles assez approfondies, je me suis trouvé face à un cas de droit d’auteur aussi étrange que troublant

 

Madame BOENY ZAKIA, unique auteur de "Mangina zaza", confirmé par Radio France et l'OCORA

Dans le livret de l’album de Vinson and Masoandro Band, il est écrit que l’auteur compositeur est une certaine Boeny Zakia et que le premier enregistrement de cette berceuse a été réalisé le 16 juillet 1963 à Anivorano, dans le nord de la Grande île. Le livret indique aussi qu’à ce moment précis, «Boeny Zakia était accompagnée de son mari Andriamaly ». A mon sens, ces informations sont trop maigres pour cet air archi-connu par tous les Malgaches. Ayant quelques archives assez étoffées sur la culture musicale malgache dite traditionnelle, j’ai pu retrouver un disque 33 tours qui fait un… tour de Madagascar dans le genre. Il s’agit de « Musique Malgache », sous le label OCORA (Office de Coopération Radiophonique), portant le numéro OCR 24 et produit par Radio France (pas encore Internationale) à l’époque.


A l’intérieur de la pochette (ci-dessus), le texte bilingue français et anglais est on ne peut plus explicite concernant « Mangina zaza ». Situé en « Plage 6 », c’est « une musique enregistrée le 16 juillet 1963 à Anivorano. « Mangina zaza » (ne pleure plus mon enfant) est une berceuse interprétée par un ensemble comprenant : une voix de femme, un « mélodica » -genre d’harmonica à touches-, une guitare, un hochet en boîte métallique, un « farara » -aérophone en tige de riz écrasé. La chanteuse, auteur de cette berceuse, est accompagnée par ses enfants (guitare, hochet, « farara ») et son mari Mahamoudou Andriamaly (« mélodica ») …). C’est donc clair comme de l’eau de roche : Boeny Zakia est bel et bien le seul et unique auteur compositeur de cette berceuse dont la renommée a largement dépassé les frontières de la Grande île. Même l’immense Manu Dibango l’a interprété mais ne s’est arrogé aucun droit.

Le texte de la "Plage 6", à l'intérieur de la pochette du 33 Tours

Pour en être plus certain que sûr, et l’Omda ou Office malgache du droit d’auteur n’ayant pas encore existé à l’époque, je me suis penché naturellement vers la Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique) française. Et là, énorme stupeur de ma part. Le titre « Mangina zaza » y a été déposé cinq fois (oui !) mais sans aucune mention du nom de Boeny Zakia, astucieusement élucidé -sinon éliminé- par des genres différents. D’abord, un « Mangina zaza » d’origine française, déposé sous forme de poème par Rasamimanana Aurore ; puis un « Mangina zaza » originaire de France, sous forme d’orchestre déposé par Rabenja Andriambololona ; ensuite un « Mangina zaza » originaire des… Etats-Unis (si !), sous forme d’orchestre déposé par Rahasimanana Paul alias Rossy comme compositeur ; enfin un « Mangina zaza » d’origine française déposé en tant que chant par Rajery (auteur) et Andrianarisoa Tovohery (compositeur). A part le poème d’Aurore, les autres dépôts prêtent vraiment à confusion dans la mesure où le refrain (vocal et/ou musical) typique composé à Madagascar par Madame Boeny est très reconnaissable.

Et c’est là qu’il faut se demander où se situent les limites du plagiat, du réarrangement, de la reprise, de l’interprétation, de l’originalité dans ce domaine délicat du droit d’auteur. Comme la Sacem se trouve en France, c’est sur le droit de ce pays qu’ont porté mes recherches. Ainsi, le principe de la protection du droit d’auteur est posé par l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial». L’ensemble de ces droits figure dans la première partie du code de la propriété intellectuelle qui codifie les lois du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1985. Les principales caractéristiques de la protection sont les suivantes :

1 - Le droit d’auteur confère à son titulaire une propriété privative lui permettant de déterminer les conditions d’exploitation de son œuvre.

Ces droits comportent deux types de prérogatives, des droits patrimoniaux qui permettent à l’auteur d’autoriser les différents modes d’utilisation de son œuvre et de percevoir en contrepartie une rémunération et des droits moraux dont la finalité est de protéger la personnalité de l’auteur exprimée au travers son œuvre. Cette propriété est de nature incorporelle, elle ne porte pas sur l’objet matériel dans lequel s’incorpore la création mais sur la création même de l’œuvre; il en résulte que les droits d’auteur sont indépendants des droits de propriété corporelle portant sur l’objet matériel, ainsi la vente du support matériel de l’œuvre (par exemple un tableau) n’emporte pas la cession des droits d’auteur, qui doit être spécifique.

2 - L’acquisition de la protection du droit d’auteur ne nécessite pas de formalité

L’octroi de la protection légale est conféré à l’auteur du simple fait de la création d’une œuvre de l’esprit et n’est pas subordonné à l’accomplissement de formalités administratives de dépôt ou autre. Ainsi, les règles régissant le dépôt légal n’exercent aucune influence sur la naissance des droits d’auteur. Toutefois l’existence d’un dépôt ou d’un enregistrement peut, en cas de contentieux, être de nature à faciliter la preuve de la paternité et de la date de la création de l’œuvre.

La législation française investit l’auteur de l’œuvre du bénéfice initial de la protection du droit d’auteur. La qualité d’auteur appartient à la ou aux personnes qui ont réalisé la création intellectuelle de l’œuvre. Un apport personnel dans le processus de création est nécessaire pour l’attribution de la qualité d’auteur. En sont exclu l’exécutant matériel (le façonnier) ou celui qui a fourni l’idée. La loi présume que la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom duquel l’œuvre est divulguée (CPI, art, L.113-1). Toutefois, il s’agit d’une présomption simple, la preuve de la qualité d’auteur est libre et peut être apportée par tout moyen.

L’auteur est le titulaire originaire des prérogatives conférées par la protection. Le créateur d’une œuvre de l’esprit est seul habilité à exercer ses prérogatives. Il lui appartient de décider le transfert de ses droits d’exploitation mais il ne peut aliéner les prérogatives liées au droit moral. Le code de la propriété intellectuelle pose en principe que : «l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu» (CPI, art L.111-1 al.3). En conséquence, l’employeur ou le commanditaire de l’œuvre ne devient pas automatiquement titulaire des droits d’auteur sur les œuvres réalisées pour son compte; la passation d’un contrat prévoyant explicitement la cession des droits patrimoniaux est nécessaire.

Concernant les infractions aux droits d’auteur, elles sont sanctionnées pénalement (CPI, art L.335-1 à L.335-10)…

 

 

Je n’ai pas pondu cet article pour créer une polémique mais pour révéler quelque chose qui invite à la réflexion et à la réaction des entités directement concernées par ce droit d’auteur. En l’occurrence la Sacem en France et l’Omda à Madagascar. Je n’entends pas non plus jouer le rôle d’avocat du diable mais, dans le cadre des mes recherches, je suis tombé sur des documents qui pourront aider à démêler cet imbroglio qui semble illimité.

D’abord une lettre en date du 15 septembre 1994 donnant procuration à M. Abdoul Bastui Andriamanohy pour « s’occuper au nom de l’auteur compositeur de toutes les affaires de droits d’auteur concernant les disques « Mangina zaza ».

 

Puis, une autre lettre en date du 29 mai 1995 mandatant M. Albert Jean Claude Vinson comme étant « le seul et unique agent et représentant de l’auteur de « Mangina zaza » dans le monde entier ». L’importance réside en l’existence de ces documents. Quant à leur valeur juridique, on verra.

 

Quoi qu’il en soit, à Madagascar, c’est la loi n°94-036 qui régit la propriété littéraire et artistique. En fait, elle est calquée sur la loi française en la matière. Dans le domaine de la représentation, l’article 68 de cette loi malgache stipule que : « Le contrat de représentation est celui par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite œuvre à des conditions qu’ils déterminent ». Ce qui prouve aussi que M. Vinson ne s’est jamais arrogé le titre d’auteur ni même d’arrangeur du « Mangina zaza » qu’il interprète dans son album et que les droits y afférents devraient logiquement atterrir chez Madame Boeny Zakia. Or, cette dernière n’existe pas à la Sacem. Un vrai nœud gordien !

De gauche à droite : Andriamaly, Boney Zakia et Albert Jean Claude Vinson en 1995 à Nosy Be

Qui a tort qui a raison ? Boeny Zakia et ses ayants droits sont-ils réellement grugés par cette foison de « mangina zaza » déposés à la Sacem ? A-t-on agi par ignorance ou intentionnellement parce que la Sacem n’a pas le temps (ni pris le temps) de tout vérifier ? Rajery, Rossy et compagnie ont-ils créé des œuvres vraiment originales à partir d’une œuvre ayant un auteur reconnu comme tel, pouvant leur permettre de gagner des sous de la Sacem ? L’auteur et ses ayants droits ont-ils, oui ou non, droit à une part de ce gâteau composé de tant de « Mangina zaza » ou devront-ils se bercer d’illusions uniquement ? En tout cas, ce cas aussi étrange que troublant de « Mangina zaza » pourrait bien être l’arbre qui cache toute une forêt de violations du droit d’auteur. Essentiellement les auteurs malgaches à Madagascar qui n’ont qu’une connaissance limitée de leurs droits. L’heure n’est-il pas venu d’y mettre un peu d’ordre ? Car franchement, sans cette curiosité propre au métier journalistique, des millions d’euros continueront à aller là où il ne faut pas. Un peu comme les fonds alloués par les bailleurs, dans un passé très récent. Alors ? La balle est dans le camp de la Sacem pour rassurer tout le monde. Même si c’est pour démontrer que toute règle à ses exceptions afin de ne pas être accusée de complicité face à du vol autorisé pur et simple. De son côté, l’Omda pourrait aussi bien y mettre du sien car ce cas s’apparente à du piratage qui ne dit pas son nom.

 

Jeannot Ramambazafy

Journaliste

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Mis à jour ( Mercredi, 25 Novembre 2009 04:55 )  
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