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Madagascar : Jean Joseph Rabearivelo et d’autres auteurs malgaches « oubliés »…

La Bibliothèque Nationale située à côté de l'hôtel Carlton à Anosy, Antananarivo



31 août 2012. Que lit-on sur le site du ministère de la Culture et du Patrimoine dirigé par Elia Ravelomanantsoa ? « L’inauguration de l’Espace J.J. Rabearivelo s’est tenue ce jour  à 11h à la Bibliothèque Nationale Anosy. Et la sortie du tome 2 “Œuvres  complètes” de l’écrivain Jean Joseph Rabearivelo a eu lieu au Faribolan’ ny mpanakanto ce même jour ».

C’est bien mince pour une personnalité de l’envergure de J. J. Rabearivelo. Allons étoffer tout cela.

23 octobre 2010. C’est la date de la sortie du premier tome des œuvres complètes de J.J. Rabearivelo, dans le cadre du Sommet de Montreux. Les deux tomes constituent un immense travail de recherches coordonnées par Serge Meitinger, Liliane Ramarosoa et Claire Riffard, rejoints par l’énigmatique Laurence Ink. Ce travail se place sous l'égide de l'équipe « Manuscrit Francophone » du laboratoire ITEM (Institut des Textes et des Manuscrits Modernes, CNRS-ENS) et de l'AUF (Agence universitaire de la Francophonie). Ces ouvrages sont édités par la collection « Planète libre» dirigée par Pierre-Marc de Biasi et Marc Cheymol. Il s’agit d’une bibliothèque d’éditions critiques des grands textes de culture francophone.

Petit résumé de ces deux tomes renfermant les œuvres complètes de J.J. Rabearivelo

Tome I


Les « Calepins bleus » occupent plus de 2/3 du premier volume. Ce journal intime donne à lire des évènements personnels, les émotions d’un homme qui tout en vivant s’observe vivre, mais est également une peinture extrêmement précieuse de la société coloniale de l’époque, de la vie culturelle et littéraire en particulier, à Madagascar, mais aussi dans le monde, grâce aux innombrables contacts que l’auteur entretenait avec des écrivains et des éditeurs contemporains, comme en témoigne la partie retrouvée de sa correspondance.

Tome II


Le second volume permet de découvrir l’ampleur et la qualité de son œuvre, aussi bien dans le domaine de la poésie, du théâtre, de la fiction, que de l’analyse critique littéraire du reste du monde. Ce second volume, paru le 8 juin 2012, comprend six parties : Le Poète ; Le Narrateur ; le Dramaturge ; Le Critique ; Le Passeur de langues ; L’Historien. Chaque texte est accompagné de notes explicatives, d’introductions, et pour chaque volume, d’une chronologie, d’un dictionnaire des noms propres et d’un index.

L’avis des quatre chercheurs


« Ce travail, réunissant des chercheurs géographiquement très dispersés, exigeait une cohésion dans l’esprit, la volonté et l’effort, facilitée, heureusement, par les nouveaux moyens de communication. Il a donné lieu à la valorisation des compétences malgaches et à l’intégration de jeunes chercheurs et doctorants, lors de divers séminaires. Mais, avant tout, il s’agit, ici, de faire connaître aux lecteurs malgaches et aux chercheurs du monde entier les dimensions de cette œuvre. Car J.J. Rabearivelo est bien plus que l’artiste maudit, auteur de quelques vers souvent cités, mais en réalité rarement lu, qui est l’image figée que l’Histoire a trop souvent retenue. Auteur d’une grande qualité, en tant que poète, dramaturge, ou auteur de fiction, il fut également un chef de file dans le domaine de la critique littéraire, un découvreur de talent, et un « passeur de langues », aussi bien par ses traductions en malgache d’auteurs de la littérature mondiale que par sa collecte minutieuse de textes traditionnels malgaches et en faisant découvrir des poètes malgaches dont il pressentait l’originalité ».

Liliane Ramarosoa, Claire Riffard, Laurence Ink, Serge Meitinger

Les deux filles de Jean Joseph Rabearivelo

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Le Plus de www.madagate.com

Il s’agit d’un hommage aux poètes malgaches francophones, que j’avais rédigé et qui a été publié dans le quotidien Madagascar Tribune du 30 novembre 2002. Eh oui, dix ans déjà !

HOMMAGE


Les poètes malgaches francophones

Ary Robinary, le pionnier

C'est Ary Robin (1892-1971) qui, sous le pseudonyme de M.-F. Robinary, fut le premier journaliste littérateur malgache de langue française. En 1927, ses poèmes ont réuni dans le recueil "Les Fleurs défuntes" (réédité en 1958). La poésie de M.-F. Robinary ne brille pas par une originalité. Il s'agit de lamentations sur des thèmes amoureux ou moralisateurs mises sous une forme parnassienne. Jean-Joseph Rabearivelo (1901-1937) tranchera vite, par ses bonheurs d'expression et par la flamme qui l'anime, sur l'ensemble des aimables versificateurs qui l'entourent. Il y eut une exception : l'énigmatique Robert-Jules Allain, métis de mère malgache (il était né en 1905), qui meurt brutalement en 1934 alors qu'il préparait la parution d'un recueil de poèmes : "Essais avant que d'entreprendre". Allain avait travaillé avec Rabearivelo à la rédaction de la revue "Capricorne".

Mélancolie discrète

Les poètes de l'entre-deux-guerres restèrent très confidentiels : quelques poèmes dans des journaux ; parfois des textes envoyés à des concours de poésie et couronnés de récompenses plus ou moins illusoires... Quelques noms et quelques exemples sont cités par Régis Rajemisa-Raolison dans son étude sur "Les Poètes malgaches d'expression française" (1983) : Félix-Marie Razanakoto, Désiré Ramandraivonona (auteur également de curieuses spéculations sur la valeur sémantique des racines des mots malgaches), Pénombre Andriampenomanana, Ignace-Marie Ratrimoarivony... Les modèles de ces poètes des années 1930 restent ceux du siècle antérieur : Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Sully-Prudhomme. Les premiers poèmes de Jacques Rabemananjara sont écrits à Tananarive, dans ce contexte de poésie surannée.

À la fin des années 1940 paraissent quelques recueils, dont les titres montrent bien la continuité avec cette poésie désuète : "Illusoire ambiance" (1947) de Randriamarozaka, "Souffles de printemps" (1947) de Raymond Abraham, "Une gerbe oubliée" (1948) de Paul Razafimahazo, "Les Fleurs de l'île rouge" (1948) de Régis Rajemisa-Raolison. Cette inspiration se prolonge encore avec les poèmes de Richard Raherivelo ("La Réminiscence", 1961 ; "Aux portes de la nuit", 1966), de Paul Rakotonirina ("Seuil d'éternité", 1960), de Pierre Randrianarisoa ("Premiers visages", 1961) et même dans la versification plus libérée des poètes récents comme Jean-René Randriasamimanana ( "Riana", 1977). Tous ces poètes cultivent une mélancolie discrète qui doit donner une tonalité malgache à leurs vers. Un sourire parfois, comme dans les badinages d'Elie-Charles Abraham qui publia trois plaquettes entre 1940 et 1949.

Rahandraha et Andrianarahinjaka

Certains poètes tentent de raccorder leur inspiration à la tradition poétique malgache. Fidélis-Justin Rabetsimandranto publie en 1958 "La Nymphe dorée", une histoire légendaire malgache adaptée et transcrite en vers français. Le travail de Flavien Ranaivo sur la traduction de genres anciens lui a valu une renommée dépassant largement les frontières de la Grande île. Le numéro spécial de la revue "Présence africaine", publié en 1966 par le poète guyanais Léon Gontran Damas, sous le titre "Nouvelle Somme de poésie du monde noir ", révélait deux poètes malgaches qui s'inscrivaient ainsi dans la mouvance de la poésie de la négritude (et qui rompaient avec la forme vieille des poètes malgaches antérieurs). Thomas Rahandra dessinait la figure du poète militant, porte-parole des victimes et des parias. Quant à Lucien Xavier Michel Andrianarahinjaka, il donna aux strophes de "Terre promise" (paru sous ce titre en 1988) un souffle d'une ampleur méditative. Ce poème était d'autant plus émouvant que les lecteurs attentifs pouvaient y reconnaître des images de J.J. Rabearivelo, mais transformées, reformulées et nourrissant l'inspiration du jeune poète.

Flavien Ranaivo : Poésie de traduction

Flavien Ranaivo a été connu hors de Madagascar grâce à l'Anthologie de Léopold Senghor. Son œuvre poétique (il a publié aussi d'assez nombreuses études, dans les revues malgaches et étrangères, sur l'histoire, la civilisation et la littérature de Madagascar) se rassemble en quatre plaquettes publiées entre 1947 et 1975. Léopold Senghor la caractérisait comme un prolongement de la recherche de Rabearivelo : " Flavien Ranaivo prend la poésie malgache au point précis où l'avait laissée J.J. Rabearivelo et lui fait franchir un pas décisif ". De fait, Flavien Ranaivo semble avoir beaucoup médité sur le retour du poète de "Presque Songes", "Traduit de la Nuit" et "Vieilles Chansons des pays d'Imerina" à la tradition malgache du hainteny. Pourtant, comme tous les écrivains malgaches francophones de sa génération, il a connu la tentation de l'imitation des poètes parnassiens et symbolistes. À la fin de son premier recueil, il glisse un poème en quatrains assez laborieusement versifiés, comme l'exemple d'une poétique à laquelle il va tourner le dos. Même si l'on entend dans le dernier vers de cette évocation de la légende de Tritriva un écho de la morbidité cultivée par Rabearivelo, l'authentique Ranaivo est absent. Il est dans son travail sur le passage en français de poèmes qui procèdent de la vieille poétique malgache. Il arrivera d'ailleurs que des textes changent de statut au fil des années et qu'une traduction soit ensuite revendiquée comme création poétique. Tel "kabary de mariage", présenté dans "La Revue de Madagascar", en 1946, comme un exemple de littérature traditionnelle, est repris sous le titre " Épithalame " dans "Mes chansons de toujours" en 1955, sans que rien n’indique au lecteur qu'il s'agit d'une traduction. Cependant, si on compare les poèmes de Ranaivo aux traductions avérées de hainteny (par exemple aux "Vieilles chansons des pays d'Imerina" de Rabearivelo), on est saisi par la tonalité particulière qui s'en dégage. Son écriture se spécifie par sa nudité, son goût de l'ellipse, la recherche des contrastes violents. On le sent tout au désir de retrouver dans le français les subtilités propres à la langue malgache. Il la rend présente dans ses vers par le dépouillement de la phrase, la suppression des mots-outils, l'usage de tirets pour agglutiner les mots à l'image des mots-valises du malgache.  Sa thématique reprend celle, amoureuse, de la poésie populaire. Mais il y adjoint une mélancolie sans raison, qui est comme la marque des hautes terres de Madagascar : tristesse vague et lancinante, désir de retour vers quel Eden perdu ? En 1975, ses "Hain-teny" transcrits du malgache sont présentés et publiés à Paris.

• Quelques romanciers malgaches

Le roman en français a peu tenté les écrivains malgaches. J.J. Rabearivelo avait fait œuvre de précurseur, en s'essayant, dès la fin des années 1920, à l'écriture romanesque. Mais "L'Aube rouge" et "L'Interférence" sont restés inédits à sa mort. Le premier roman dû à la plume française d'un Malgache est "La Sœur inconnue" (1932) d'Édouard Bezoro. Le héros en est un jeune esclave, chargé de surveiller depuis le sommet de l'Angavo l'arrivée du corps expéditionnaire français (l'action se situe en 1895). Ce roman demeure un témoignage intéressant sur les remous suscités par l'abolition de l'esclavage à Madagascar.  Mais l'exemple de Bezoro a été peu suivi. Nous citerons le roman historique de M.-F. Robinary, "Sous le signe de Rasaizy" (1956), et dans un genre différent son livre de souvenirs "Au seuil de la terre promise" (1965). Juste après la guerre, Danika Boyer, métisse originaire de Tananarive, avait publié "Sa Majesté Ranavalo III, ma reine", chez Fasquelle, dans la série " Écrits français d'outre-mer ". Ce récit romancé prend place à côté d'œuvres du Sénégalais Birago Diop et du Martiniquais Raphaël Tardon. Dans les années 1960, Rabearison écrit de longues nouvelles où il fait passer son expérience d'administrateur : "Les Voleurs de bœufs" (1965), "Le Sous-Préfet Fenomanana" (1970). On hésite à faire entrer dans la littérature malgache les œuvrettes sentimentales d'Aimée Andria, "L'Esquif" (1968). En 1975, Pelandrova Dreo donne un étrange roman ethnographique, "Pelandrova", plongée dans le monde antandroy : les rugosités de son écriture donnent un cachet d'authenticité à ces histoires de sorcellerie, de vols de bœufs, d'ordalies...

• Michèle Rakotoson

Mais les premières œuvres où se révèle un véritable tempérament romanesque sont les nouvelles et récits de Michèle Rakotoson. L'imaginaire angoissé, la revendication sensuelle, l'interrogation sur les relations entre générations, sur la place de la femme font l'originalité des nouvelles de "Dadabe" (1984). "Le Bain des reliques" (1988) invite à suivre une équipe de la télévision malgache filmant une cérémonie ancienne, qui se déroule quelque part dans une ville du Moyen-Ouest (on reconnaîtra, ici, le Fitampoha des Sakalava). Mais l'expédition tourne au désastre. Le réalisateur du film meurt, comme une victime offerte aux mânes des ancêtres, ou parce qu'il est piégé par la dérive malgache dans la misère et la mort...Le roman se lit comme une réflexion sur l'évolution récente de Madagascar, les transformations chaotiques d'une société, la désagrégation des valeurs anciennes, les résurgences de modèles sociaux ou moraux revenant d'un lointain passé. Il est chargé de tout le désarroi de ces générations qui ont connu la révolution de 1972, les illusions lyriques, les désillusions quotidiennes, l'exil parfois. Prenant le parti d'une écriture retenue, "Le Bain des reliques" refuse le sectarisme du roman militant de naguère. Son héros déboussolé est à l'image d'un pays qui a perdu ses repères traditionnels...

• Renaissance littéraire...

Les romans de Michèle Rakotoson annonçaient-ils un renouveau de la littérature malgache en français ? Toujours est-il que, dans tous les pays traversant une crise grave, la littérature fournit aux intellectuels le lieu où extérioriser leurs problèmes et exorciser leurs angoisses. Dans la période qui suivit immédiatement la révolution de 1972, on ne parla que de "malgachisation" et d'écriture en malgache. Avec le temps, l'ostracisme prononcé contre l'écriture en français s'est estompé. Beaucoup de signes manifestent la permanence de la francophonie littéraire malgache. On réédite les œuvres de poètes antérieurs. On tente de publier des revues. Des associations d'écrivains et d'intellectuels se fondent. Des textes circulent, mais la plupart du temps sous forme de manuscrits, de dactylographies. Il est plus facile de faire paraître des nouvelles, dans des journaux et revues. Le concours de nouvelles de RFI prime quelques auteurs malgaches (Patrick Iarilanto Andriamangatiana, Tsilavina Ralaindimby, Marie Danielle Rason) et leur donne un début de reconnaissance littéraire.

Le théâtre tente beaucoup de nouveaux auteurs (Charlotte Rafenomanjato, Suzanne A. Ravoaja, Josette Rakotondradany). Cette effervescence littéraire est à la fois décevante et prometteuse. Déception d’une vie littéraire sans livres ni lecteurs : les œuvres restent en puissance mais ne circulent qu’au gré de lectures publiques, évoquées à la radio ou dans les conversations…

• Nouvelle génération

A la suite du « revirement » politique de la fin des années 1980, l’accent mis sur l’importance du français pour le développement de Madagascar a favorisé l’ouverture et le « renouveau » de la littérature malgache d’expression française. Charlotte Rafenomanjato a pu faire paraître son premier roman, « Le Pétale écarlate », publié à Antananarivo en 1990 : c’était une tentative réussie pour malgachiser le genre du « roman populaire ». L’histoire est celle de l’orpheline Felana qui a pu triompher de la mauvaise étoile (le signe astrologique Alakaosy) sous laquelle elle est née. Esther Nirina a imposé, avec le recueil « Lente spirale » (1990), après « Silencieuse respiration » (1975) et « Simple voyelle » (1980), un ton poétique personnel, fait d’intimisme et de pudique sensualité. D’autres noms commencent à se faire connaître : un texte de Jean-Luc Raharimanana, « Lépreux », est primé en 1989 au concours de nouvelles de RFI. Soulignons que Léopold Sédar Senghor (1906-2001), chantre, avec Aimé Césaire, de la Négritude, publia « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française », réédité 1992. Une nouvelle génération d’écrivains, formée pendant les années de malgachisation, affirme son désir farouche d’écrire en français. Et çà ne s’arrêtera sûrement pas là.

Recueillis par Jeannot Ramambazafy

(Madagascar-Tribune, 30/11/02)

Un dossier de Jeannot Ramambazafy – 1er septembre 2012

Mis à jour ( Dimanche, 02 Septembre 2012 07:26 )  
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