L’année 2014 aura laissé en héritage, pour 2015 et les années suivantes, une énième violation de la Constitution de la IVème république de Madagascar par le régime Rajaonarimampianina.
Selon la juriste Sahondra Rabenarivo, la loi organique sur la Haute Cour de Justice (HCJ) est non conforme à la Constitution de la IVème république de Madagascar. Voici ses arguments juridiques.
Pour Sahondra Rabenarivo, la loi organique fixant l’organisation et la procédure à suivre devant la HCJ, tel que prévu par l’article 136 de la Constitution, est attendue depuis longtemps. En effet, l’inexistence de cette loi a toujours servi de prétexte pour prononcer l’impossibilité de juger un Président de la République en exercice, alors que la HCJ est prévue depuis la Constitution du 18 septembre 1992.
Sahondra Rabenarivo note que c’est une loi dont plusieurs dispositions, en particulier celle prévues aux articles 12 à 33, devraient être déclarées non conformes à la Constitution par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC). Selon l’article 117 de notre Constitution, une disposition jugée inconstitutionnelle ne peut promulguée. Ce serait une grande première si la HCC de Madagascar ose déclarer inconstitutionnelles les dispositions d’une loi.
Cette loi représente un test grandeur nature pour cette nouvelle Cour, en ce moment où l’on espère, en effet, l’établissement d’un vrai Etat de droit. Car par le passé, l’Etat de droit a été botté en touche, mis de côté par les HCC précédentes, alors que qu’elles étaient chacune le dernier rempart contre la distorsion de la Constitution par les tenants du pouvoir, avec des lois servant des intérêts étroits, souvent de maintien au pouvoir plutôt que l’intérêt général. Nul ne préconise, aujourd’hui, la convocation en réunion de la HCJ pour statuer sur un quelconque cas. Personne, qui aime ce pays, ne veut voir cette Cour en action, surtout en cette période de fragilité de l’Etat et d’épuisement populaire. Vu la gravité de son rôle, dans la plupart des pays du monde, elle n’a jamais été actionnée, en tout cas contre un Chef d’Etat.
La HCJ sert de dernier recours dans un système démocratique où plus aucune alternative ne sert contre un despote avéré. Mais malgré cela, on nous présente un texte taillé sur mesure, concocté dans un contexte spécifique de faiblesse présidentielle. Ne rien dire face à cette grosse manipulation pour rendre l’existence même de la HCJ, impossible ou du moins inconséquente, par des dispositions sciemment inconstitutionnelles et anti-démocratiques, serait accepter qu’à Madagascar, la Constitution n’a aucune valeur et que les principes de fondement de la République ne sont que farces.
QUELLES DISPOSITIONS INCONSTITUTIONNELLESÂ ?
1. La procédure de plainte
Un des aspects les plus stupéfiants de la loi adoptée est la procédure de dépôt de plainte par « tout « électeur ayant participé à la dernière élection présidentielle (et législatives pour les autres justiciables) » et que cette plainte, sous peine d’irrecevabilité, doit :
Dans le cas du Président : porter la signature de 580 personnalités dont 500 maires, 50 députés et 30 sénateurs Les députés étant membres de l’Assemblée nationale, l’initiative de la procédure leur revient déjà au niveau de l’Assemblée nationale et non pas dans cette procédure ex parte ;
Les sénateurs ayant été sciemment exclus du processus de mise en accusation sont réintroduits de manière inconstitutionnelle dans le processus. Par ailleurs, si le Sénat est composé de 33 membres, avec 1/3 nommé par le Président comme le prévoit l’article 81 de la Constitution, on voit mal la plainte aller plus loin. Ainsi, le temps de collecter la signature de 500 maires, sur les quelque 1500 communes de Madagascar, un despote qui mériterait vraiment d’être déchu aurait mis le pauvre plaignant en prison, l’aurait expulsé ou pire encore…
Dans les autres cas des justiciables, porter la signature de 580 personnalités dont 250 maires, 50 députés et 30 sénateurs, la « caution morale » apportée par toutes ces signatures est contraire à la procédure pénale normale. Car il s’agit de poursuites pour crime ou délit dans le cas de ces autres justiciables.
La procédure de plainte est contraire à la constitution en ce qui concerne le Président de la République, dans la mesure où l’Assemblée nationale est seule habilitée de le mettre en accusation, et cette mise en accusation devrait se faire au sein de l’Assemblée nationale, selon des procédures de proposition de résolution et de vote par les 2/3 des membres de cette résolution. La procédure de plainte ne s’applique aussi qu’en cas de poursuite pour crime ou délit, et non pas pour la destitution ou la déchéance.
Dans le cas des autres justiciables, la procédure de plainte est acceptable, mais les conditions susmentionnées sont expressément élaborées pour la rendre impossible, et sont contraires aux principes applicables en matière pénale.
2. L’imbroglio kafkaïen
Après la plainte impossible à porter contre ces hautes personnalités de l’Etat, la procédure devient longue et kafkaïen. Pour le Président de la République, il faut d’abord que le greffe de la HCJ, dans les trois mois, transmette le dossier à la Médiature de la République qui, trois mois après, l’envoie au Président de l’Assemblée nationale qui le soumet, en session ordinaire seulement (c’est-à -dire en mai ou octobre) à une commission de plainte composée de quatre représentants de la Présidence ; deux députés, deux sénateurs ; deux représentants de la Primature ; deux membres de la HCC et d’un représentant du ministère de la Justice.
Cette commission statue sur la recevabilité de la plainte. Une fois déclarée recevable, la commission (qui n’est vraiment pas parlementaire, vous l’aurez remarqué) élabore la proposition de résolution de mise en accusation. Cette élaboration par la commission de plainte de la résolution de mise en accusation est une usurpation du pouvoir constitutionnel donné à l’Assemblée nationale, c’est-à -dire aux députés, et est donc inconstitutionnelle.
Ensuite, une fois la proposition de résolution élaborée, elle ne peut être votée qu’en session ordinaire (encore une attente) si le Bureau permanent la met à l’ordre du jour. Si l’Assemblée nationale vote la résolution, le Bureau permanent crée une commission d’enquête et fait un rapport en assemblée plénière lors de la prochaine session ordinaire. Ce n’est qu’après que l’Assemblée nationale peut procéder au vote de la résolution de mise en accusation. Ce n’est qu’après que l’Assemblée nationale vote définitivement la résolution de mise en accusation. Etant donné que les sessions ordinaires n’ont lieu que tous les six mois, le fait de vouloir prolonger la procédure est trop évident.
Si la résolution de mise en accusation est adoptée, un rapport d’enquête est transmis au Procureur général de la Cour suprême par le Bureau permanent de l’Assemblée nationale. Dans les trois jours francs, une chambre d’accusation spécialement créée à cet effet est saisie. Deux des trois juges qui la composent ne siègent pas à la HCJ (le Président du Conseil d’Etat et un président de chambre du Conseil d’Etat) ! Si l’instruction fait paraître des preuves suffisantes de l’existence des faits énoncés, la Chambre d’instruction rend un arrêt de renvoi devant la HCJ.
Les rédacteurs de la loi adoptée n’y croyaient peut-être plus, comme nous, et c’est ainsi que les articles 56 à 68 de la loi adoptée -qui devraient être le gros de la législation-, ne passent en revue que très sommairement la procédure devant la HCJ quand elle est enfin saisie. Bien avant, tout le monde y avait participé : commission électorale, maires, sénateurs, médiature, Bureau permanent de l’Assemblée nationale, commission de plainte comprenant plusieurs membres non élus et de l’exécutif, commission d’enquête, chambre d’instruction émanant du Conseil d’Etat… Après un tel parcours de combattant, si la HCJ ne prononce pas la déchéance, quel choc cela ferait.
3. L’Assemblée nationale dénudée
Tel que cité ci-dessus, la commission de plainte composée de quatre représentants de la Présidence, deux députés, deux sénateurs, deux représentants de la Primature, deux membres de la HCC et un représentant du ministère de la Justice, à majorité de la branche exécutive de l’Etat, élabore la proposition de résolution de la mise en accusation que l’Assemblée nationale devrait voter, usurpant ainsi un pouvoir réservé aux députés qui sont des élus.
4. La Haute Cour de Justice inatteignable
Je répète : bien avant la saisie de la HCJ, tout le monde a pleinement participé à la mise en accusation : commission électorale, maires, sénateurs, médiature, Bureau permanent de l’Assemblée nationale, commission de plainte comprenant plusieurs membres non élus et de l’exécutif, commission d’enquête, chambre d’instruction émanant du Conseil d’Etat… Après un tel parcours de combattant, si la HCJ ne prononce pas la déchéance, quel choc cela ferait.
5. L’interprétation des articles 131 et 49 de la Constitution
L’article 136 de la Constitution dispose que « l’organisation et la procédure à suivre devant la Haute Cour de Justice sont fixées par une loi organique ». Or, l’article 12 de la loi adoptée se permet d’interpréter l’article 131 de la Constitution, chose que seuls les juges peuvent faire. En particulier, la limitation de tout « manquement à ses devoirs (Président de la République) manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » est strictement limitée par la loi adoptée à la violation de l’article 49 de la Constitution (« Les fonctions du Président de la Républiques sont incompatibles avec toute fonction publique élective, toute autre activité professionnelle et toute activité au sein d’un parti politique, d’un groupement politique ou d’une association et de l’exercice de responsabilité au sein d’une institution religieuse ». (Partie en gras ajoutée en 2010)).
Ces interprétations par la loi adoptée des motifs de déchéance d’un Président vont au-delà de « l’organisation et la procédure à suivre » devant la HCJ, et relèvent plutôt de la branche judiciaire de l’Etat (HCC, Cour suprême et HCJ). Comment en est-on arrivé là  ?
On doit se demander comment les rédacteurs on pu pondre un tel texte, et ce n’est qu’en étudiant le cas français qu’on peut comprendre. En France, il existe deux Cours différentes : une pour le Président (la Haute Cour), et une autre pour les membres du gouvernement (la Cour de Justice). A Madagascar, nous avons une seule Cour et les rédacteurs ont fait un maladroit amalgame entre les deux Cours françaises, pour donner la Haute Cour de Justice malgache. Cette HCJ malgache adopte les procédures de la Cour de Justice française (et en ajoute car en France, la plainte déposée contre une personnalité ne nécessite pas la « caution morale » représentée par la signature de 580 ou 330 personnalités). Or, ces procédures sont spécifiques à un cas de poursuite pour crime ou délit dans l’exercice d’une fonction.
Il est triste de voir que la distinction entre Président de la République, élu au suffrage universel direct, et les autres personnalités de l’Etat, certains (comme les membres du gouvernement non élus) n’a pas été consacrée par cette loi sur la HCJ adoptée par l’Assemblée nationale, et que tous les rajouts procéduraux, décrits dans l’exposé des motifs comme étant des « balises pour protéger contre les dénonciations infondées, malveillantes et intempestives », servent plutôt à abriter les dirigeants de l’application de la loi. En effet, en France, la procédure est loin d’être kafkaesque : les règles y sont claires, la procédure rapide, et le va-et-vient avec d’autres juridictions ou branches de l’Etat sont inexistant.
Les rédacteurs de la loi malgache ont introduit un processus similaire à celui de la Cour de Justice française mais en l’appliquant au Président de la République de Madagascar, comme aux autres pourtant poursuivis pour crime et délit. Dans les deux cas (Président de la République et autres), les rédacteurs ont poussé la difficulté de la procédure au point de la rendre pratiquement inapplicable.
En faisant ceci, ils ont ignoré les dispositions claires de la Constitution malgache et ont introduit dans le processus d’autres branches de l’Etat. Par conséquent, la Haute Cour de Justice de Madagascar est devenue sans importance, inconséquente, et la Constitution toute entière est crevée.
Recueillis par M.A. Texte paru dans le journal l’Observateur du 31 décembre 2014, page 02