Antananarivo, 31 octobre 2016
Aujourd'hui, je conclus ma mission à Madagascar, qui a commencé le 25 Octobre. Lors de ma visite, j'ai rencontré un large éventail de personnes, y compris des ministres et des fonctionnaires du gouvernement, des organisations de la société civile, des universitaires, des organismes des Nations Unies et la Commission nationale des droits de l'homme nouvellement créée. J'ai participé à des réunions à Antananarivo, Moramanga (110 km à l’est de la capitale) et Andasibe (154 km à l’est de la capitale), et j'ai visité le parc national d'Andasibe-Mantadia.
Je tiens à remercier le gouvernement pour son invitation et pour la chaleur de l'accueil et de la disponibilité de toutes les personnes que j'ai rencontrées lors de cette visite.
Mon mandat a été créée en Mars 2012 lorsque le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a décidé de nommer son premier expert indépendant sur les obligations en matière de droits relatifs à la jouissance d'un environnement sûr, propre, sain et durable. En Mars 2015, le Conseil des Droits de l'Homme a renouvelé le mandat pour trois ans et a changé le titre en Rapporteur spécial. En tant que Rapporteur spécial, le Conseil m'a demandé d'étudier la relation entre les droits de l'homme et l'environnement, et de promouvoir la mise en œuvre des obligations en matière de droits de l'homme relatifs à l'environnement.
Les Droits de l'homme et la protection de l'environnement sont interdépendants. La dégradation de l'environnement mine la capacité de profiter d'une multitude de droits de l'homme, y compris les droits à la vie, la santé, la nourriture et l'eau, qui dépendent d'un environnement sain et durable.
L'un des principaux exemples au niveau mondial de cet effet est le changement climatique, qui menace la jouissance d'un grand nombre de droits de l'homme dans le monde. Madagascar, malheureusement, est l'un des pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Ses régions côtières en basse altitude sont vulnérables à la montée des eaux, et l'intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les cyclones, est susceptible d'augmenter. Dans l'immédiat, le sud de Madagascar connaît actuellement une sécheresse grave, mettant en danger des vies, et qui est attribué à l'effet El Niño et exacerbé par le réchauffement climatique.
La semaine dernière, les agences des Nations Unies ont annoncé que près de 850 000 personnes dans le sud de Madagascar sont dans une situation d'insécurité alimentaire aiguë. Pour les aider, le Programme Alimentaire Mondial, la FAO, et l'UNICEF élargissent leurs engagements et leurs ressources le plus rapidement possible. Pour éviter une catastrophe, ils ont besoin de plus de 115 millions de dollars de financement supplémentaire. Je demande instamment aux donateurs de répondre en toute urgence à leur appel à l'aide.
De façon plus générale, les pays du monde entier devraient rapidement commencer à prendre des mesures pour mettre en œuvre l'Accord de Paris sur le changement climatique, qui entrera en vigueur ce vendredi 4 Novembre. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre ne doivent pas retarder la mise en œuvre et le renforcement de leurs engagements pour réduire leurs émissions, et les pays développés doivent respecter leur engagement à fournir une assistance aux pays vulnérables, tels que Madagascar, afin qu'ils puissent adopter des mesures efficaces d'adaptation aux effets inévitables du changement climatique.
En même temps que la pleine jouissance des droits de l'homme dépend d'un environnement sain, l'exercice des droits de l'homme contribue à assurer la protection de l'environnement. Par exemple, en vertu du droit international sur les droits humains, tout le monde a le droit à l'information sur les questions environnementales, le droit de participer à la prise de décisions concernant l'environnement, les droits de la liberté d'expression et d'association en matière d'environnement, et le droit d'avoir accès à des recours efficaces pour dommages à l'environnement. Le libre et plein exercice de ces droits permet à toute personne de veiller à ce que les politiques environnementales soient équitables et efficaces.
Malheureusement, dans la plupart des régions du monde d'aujourd'hui, il est de plus en plus dangereux d'être un défenseur de l'environnement– c’est à dire ces personnes qui parlent pour défendre les droits relatifs à la jouissance d'un environnement sain. Les défenseurs de l’environnement sont souvent harcelés, poursuivis en justice, victime d’acte de violence, et même assassinés. Les gouvernements ont l'obligation de protéger les défenseurs de l'environnement de ces menaces, afin qu'ils puissent participer pleinement et sans crainte dans le processus de prise de décision sur l’environnement.
Bien que Madagascar n’est heureusement pas parmi les pays où l’on a déploré l’assassinat d'un défenseur de l'environnement, j’ai entendu les préoccupations des défenseurs de l’environnement lors de ma visite sur les menaces qu'ils ont reçues, et on m'a fait part d’exemples de poursuites intentées contre M. Clovis Razafimalala, coordinateur de la coalition Lampogno, qui est actuellement emprisonné, et M. Armand Marozafy, qui a été emprisonné l'année dernière pendant quatre mois, après avoir tenté d'attirer l'attention sur le trafic illégal de bois de rose.
Sans chercher à juger les faits d’un cas en particulier, je dois souligner à nouveau que les individus ont le droit à la liberté d'expression, y compris quand ils attirent l’attention sur des crimes allégués sur l’environnement, et ils ne devraient jamais être harcelés ou punis pour l'exercice de ce droit. Au contraire, les autorités ont l'obligation d'encourager et de protéger ceux qui cherchent à protéger l'environnement dont nous dépendons tous.
Beaucoup de mes interlocuteurs au cours de cette visite ont souligné que le trafic illégal de bois de rose et d'autres bois précieux, ainsi que des espèces en voie de disparition, est devenu beaucoup plus répandu à Madagascar en raison de la période de transition politique. Comme beaucoup de gens l’ont souligné, y compris le Secrétaire Général Ban Ki-Moon, le trafic illégal touche directement le cœur des ressources naturelles précieuses de Madagascar, privant les générations actuelles et futures de leur patrimoine. Cela met en danger la sécurité des parcs nationaux et les autres responsables qui travaillent pour prévenir ces activités illégales, ainsi que la sécurité de ceux qui les dénoncent.
Le trafic illicite a aussi un effet corrosif sur la bonne gouvernance, parce que les trafiquants illégaux utilisent l’argent qu’ils gagnent pour contribuer à la corruption, lequel d’après ce que j'ai entendu à plusieurs reprises constitue une grande menace pour le bien-être économique et environnemental de Madagascar. En ce qui concerne la protection de l'environnement en particulier, la corruption sape tous les efforts de conservation de l'environnement naturel et pour faire en sorte que les ressources naturelles sont utilisées de manière durable.
Je félicite les assurances que j’ai reçues du Gouvernement de Madagascar qui s’est engagé à prendre des mesures concrètes pour lutter contre la corruption, notamment en renforçant le système judiciaire. Ces mesures constituent des pas dans la bonne direction, mais il est essentiel que les mesures soient prises rapidement et efficacement, afin de rétablir la confiance totale dans les institutions judiciaires et autres qui protègent les droits humains du peuple et sauvegardent l'environnement.
J'encourage également le gouvernement à travailler avec les organisations environnementales sur le problème du trafic illicite. À cet égard, le projet ALARM (Application de la Loi contre les Abus sur les Ressources naturelles de Madagascar) constitue un développement remarquable qui se concentre sur le commerce illégal de la tortue radiée, une espèce en danger critique. L’Alliance Voahary Gasy (AVG), un réseau d'organisations environnementales malgaches, m'a informé que depuis Août 2016, il a contribué à l'arrestation de neuf trafiquants avec 428 tortues radiées, d'une valeur de plus d'un demi-million de dollars. Ces bonnes pratiques en matière de coopération entre les autorités et la société civile devraient être poursuivies, reproduites et renforcées.
Les droits humains sont également importants pour la protection et l'utilisation durable des ressources minières. Pour veiller au respect des droits humains et de l'environnement, les permis miniers ne devraient être délivrés qu’après qu’une évaluation complète des impacts environnementaux et sociaux soit terminée, et que toutes les informations pertinentes soient fournies au public, et que les communautés locales soient consultées pour leurs points de vue sur l'opération minière envisagée. Une fois fait correctement, ce processus peut et doit se traduire par des avantages non seulement pour le pays dans son ensemble, mais aussi pour les communautés locales directement touchées par l'exploitation minière. A Moramanga, j'ai visité un centre de formation géré par Ambatovy et qui sert d’exemple concret de ces avantages.
Cependant, lorsque ces étapes ne sont pas suivies correctement, comme cela sembleraient être le cas durant la période de transition, il devient beaucoup plus probable qu'il y ait des conflits difficiles et de longue durée avec les communautés locales. Lors de ma visite, on m’a parlé de tels conflits, et j’ai rencontré des membres de l'organisation VONA Fitiavan-Tanindrazana dans la zone de Soamahamanina. Ils ont partagé leurs préoccupations concernant l’exploitation minière, et en particulier la récente arrestation de cinq personnes (Pierre Robson, Tsihoarana Andrianony, Fenohasina Andriaendrikiniarivo, Tona Guillaume Andriarijaonina et Augustin Ranaivoarivelo) qui ont manifesté contre l’exploitation minière.
J’ai soulevée ces préoccupations auprès du gouvernement, et je leur ai rappelé que les gens ont le droit de participer à des manifestations pacifiques. Je suis d'accord avec la Commission nationale des droits de l'homme qui a appelé le gouvernement à appliquer le principe de la présomption d'innocence, de traiter l'affaire sans délai et de respecter les droits des détenus. Sans chercher à juger le conflit, je prie instamment le Gouvernement et tous les acteurs pour résoudre pacifiquement le différend, et ce le plus rapidement possible, et d'éviter toute mesure qui pourrait faire escalader le conflit.
Les conflits autour des exploitations minières sont très fréquents dans le monde entier, et ce qui les rends similaires est qu'ils peuvent facilement dégénérer d’une manière qui ne sert l'intérêt d’aucune partie. J'ai suggéré au gouvernement d'envisager l’institution d'une commission permanente de médiation / de conciliation avec le pouvoir d'entendre les doléances des communautés locales concernant les exploitations minières et de travailler pour résoudre ces griefs pacifiquement et rapidement.
Une telle institution pourrait être mise en place dans le cadre de la révision du Code Minier. J’ai apprécié la discussion ouverte que j’ai eue avec le gouvernement sur les questions du Code Minier actuel, et son engagement à procéder à un processus inclusif pour proposer et considérer les révisions qui aideront à faire en sorte que l'exploitation minière à Madagascar protège l'environnement en même temps qu'il profite au peuple de Madagascar, y compris les communautés qui sont les plus directement touchées par les opérations minières.
Ma déclaration ne serait complète sans mentionner la relation entre les droits de l'homme et la diversité biologique de Madagascar, l'une des grandes merveilles du monde. Je voudrais exprimer ma gratitude au maire et à la population d’Andasibe pour m’avoir accueilli dans leur communauté et m’avoir guidé à travers leur parc communautaire, où ils protègent des espèces de lémuriens et de nombreuses autres espèces en voie de disparition. Je n'oublierai jamais le moment où j’ai vu les indri et entendu leurs chants, dont la beauté n’a été égalée que par les chants des jeunes qui nous ont accueillis auprès de leur communauté. J'ai été très impressionné par l'engagement de la communauté pour protéger la forêt et tous les espèces qui y vivent.
Les communautés comme celles d’Andasibe, qui protègent les richesses vivantes de Madagascar, fournissent un vrai service à tout le monde dans le monde. Il n’est dans ce sens que naturel que la communauté internationale les soutienne dans leurs efforts. L'association communautaire locale (VOI-MMA) que j’ai rencontrée avait reçu une petite subvention du Fonds mondial pour l’environnement, par le biais du Programme de développement des Nations Unies, qui l’a aidée à mettre en place un programme qui inclut le réensemencement de la forêt, l’enlèvement des espèces envahissantes, l'éducation environnementale, l’écotourisme, et le suivi de l’habitat. Je peux témoigner que l'argent a été bien dépensé !
Pourtant, on pourrait et devrait faire plus pour soutenir ces communautés, y compris en leur apportant des sources de revenus plus diversifiées et certaines. À cet égard, je salue l'annonce faite par l’UICN il y a deux jours, avant la Journée mondiale des Lémuriens le 30 Octobre, qu'elle mettrait en œuvre une nouvelle stratégie de conservation des Lémuriens, qui fournira des subventions aux organisations de la société civile pour la mise en œuvre d’actions de conservation des lémuriens sur les six prochaines années, à partir de Janvier 2017.
En dépit des difficultés importantes, Madagascar a longtemps été un pionnier dans l’exploration et la mise en œuvre des moyens pour faire participer les communautés locales à la gestion, et de recevoir des avantages des zones protégées. Son expérience fournit jusqu'à présent des leçons précieuses pour d'autres pays dans des situations similaires.
Je compte aborder ces questions et d'autres encore dans un rapport au Conseil des Droits de l'Homme, que je vais préparer dans les mois à venir et présenter au Conseil en Mars 2017.
Je voudrais terminer en offrant à nouveau mes remerciements à tous ceux qui ont partagé leurs points de vue avec moi au cours de cette visite et je voudrais adresser mes meilleurs vœux au peuple malgache dans son effort continu à travailler pour protéger les droits de l'homme et l'environnement.
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