Décidément, les voies du Seigneur sont impénétrables. Après le guitariste virtuose Etienne Rambotiana plus connu sous le nom de Bouboul, c’est le bassiste à six cordes tout aussi virtuose qui nous a quitté dans la nuit du mercredi 7 novembre2007. Il avait 45 ans, comme l’humoriste Zafihita alias Rafilomena qui a précédé de peu Bouboule. Avec cette disparition qui nous rappelle notre faiblesse humaine face à la mort, c’est le monde de la musique malgache dans tout son ensemble qui est en deuil. Et encore une médaille à titre posthume ?... Mais je suis de plus en plus convaincu que ce sont toujours les meilleurs qui partent en premiers.
Je n’ai pas pu aller enterrer Bouboule que je connaissais depuis l’âge de 9 ans. J’ai un cousin, Gérard Rakotoarivony qui était avec lui dans le Circo do Brazil. Je n’ai su la nouvelle du décès de Tôty que tard dans la nuit. Je ne vais tout de même pas laisser aller les choses, bon sang ! Surtout que j’aimais bien Tôty, ce musicien qui parle plus avec son instrument qu’avec sa bouche. Il avait un sourire indéfinissable. Etait-il timide, introverti ? Je ne sais pas mais il était le copain de tout le monde et pouvait jouer de tous les genres. Mais pourquoi est-ce que j’écris au passé ? Un artiste est immortel. Non ? Donc, Tôty, de son vrai nom Andriamampianina Georges Olivier, de formation classique devient musicien professionnel dès qu’il entre dans l’orchestre de l’université d’Antananarivo ORO, créé par Arly Rajaobelina et Rolly « Tazako », entre autres. Au côté du futur Solo « Hasambarana ». En écoutant le groupe Weather Report (bulletin météorologique), son attention est captivée par Jaco Pastorius, le bassiste de ce groupe mythique de Wayne Shorter. C’est décidé, Tôty sera aussi bassiste. Au début des années 1980, il existait, du côté d’Antaninandro, le premier fast food malgache, « importé » par les frères Dida et Ntsoa Randriamifidimanana : Speedy. Comme Dida est un mécène qui pêche par excès de modestie (je vais écrire un livre sur lui, ma parole !^), le Speedy Band orchestra est créé. Si l’on part de principe, qu’en ce temps-là Antananarivo était un petit village, toutes les grosses pointures d’aujourd’hui, en tous genres, sont passées par là . C’est même ici que Gaby, le chanteur du groupe Jeneraly a donné ce nom à son groupe. A la question : quelle est votre genre ? Il avait répondu : tout,en général !... Il nous a déjà quitté prématurément ce sacré Gaby et ses textes inoubliables sur le vécu au quotidien…
Bon, où en étais-je ? Ah, Tôty. Weather Report, c’est le jazz. Free, rock ou tout ce que vous voulez, mais c’est le jazz. Remarqué, il part en tournée en Urss, actuelle Russie, en 1984. En 1986, le groupe Triatra (déchirure) voit le jour mais s’éteint car deux de ses membres s’éteignent aussi. Or, Triatra, c’était Datita Rabeson (guitare), Tôty (basse), Pana (percussions), Naivo (saxophone), Riri (batterie) et Ndriana (claviers). Ce sont ces deux derniers qui ont précédé Tôty de presque vingt années tout de même. Tôty augmente sa basse d’une corde et entre dans la formation Oay ! (O purée !) composé de Seta (instruments à vent), Ricky, pas encore Olombelo mais toujours percussionniste, comme Pana. Cette formation est née à la suite de fréquents contacts au Cgm au début des années 1990. Son immense talent va lui faire voir du pays sur les cinq continents. En effet, il faut se rappeler qu’il était chef d’orchestre lors des Jeux des îles de l’océan Indien organisés à Antananarivo à cette époque. Il est sollicité de partout. Pour seul exemple, la musique du film « Dahalo, dahalo » de Benoît Ramampy, qui nous a aussi quitté, est de Tôty. Tous les artistes le veulent. Tous. Le dernier en date est Arison Vonjy, le Gino Vanelli malgache. Au final, la basse de Tôty se compose de six cordes sur laquelle il put faire des solos inoubliables et inédits car improvisés.
Vous allez me trouver cynique mais un coup de gueule, de temps à autre, est nécessaire pour évacuer le trop plein des « j’en ai marre ». Les silencieux sont sujets à des maladies de foie et/ou d’estomac, même s’ils ne boivent ni ne fument. Demandez à votre médecin. Dimanche dernier, une crise d’estomac oblige Tôty à entrer à l’hôpital. L’urgence était telle qu’il avait fallu l’opérer, l’après-midi du mardi 6 novembre. Il est bien sorti indemne du bloc opératoire et avant d’être mort, il était encore vivant, dirait Lapalisse. Mais, son cœur n’a pu supporter l’intervention. Tous les artistes présents dans la Capitale, quel que soit leur style musical, sont accouru à l’hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona. Il est prévu d’exposer sa dépouille mortelle à la Tranompokonolona d’Analakely, comme Zafihita, et il devrait être enterré ce vendredi 9 novembre 2007. 45 ans. Non, Mesdames et Messieurs, il n’y a pas d’âge pour mourir. Le plus des artistes de l’envergure de Tôty est de figurer, déjà de son vivant, dans l’histoire même de la musique à Madagascar. Tôty laisse un héritage qui sera éternellement à l’abri des outrages du temps. Toute l’équipe rédactionnelle de madagate.com, de France (Augustin Andriamananoro et Shoan) et de Madagascar, adresse ses condoléances à la famille de Bentrol, son nom de guerre devenu Tôty. Ami(e)s ne pleuraient pas. A l’heure où le baril du pétrole frôle les 100 $, Tôty, lui, est à l’abri définitivement de ce genre de tracasseries, somme toute terrestres. N’empêche, il va terriblement nous manquer.
Jeannot Ramambazafy