PROSPER RALAIARIMANANA. Un demi-siècle de parcours culturel
Prosy, de son vrai nom Prosper Ralaiarimanana, n’est plus à présenter dans le domaine artistique. En cette année de 50 ans de bons et loyaux services culturels, notre confère La Gazette de la Grande île nous présente d’autres facettes de Prosy. Entretien à bâtons rompus, illustré de photos inédites que nous avons choisies pour l'occasion. www.madagate.org
Lycée Gallieni, Andohalo, année scolaire 1965-1966. Classe de Sciences expérimentales. Sur la photo, les élèves avec Mme Coguels (au centre), professeur de philosophie
La Gazette : Dites-nous, Prosy, d’où vient votre vocation pour l’art ?
PROSPER RALAIARIMANANA : C’est une longue histoire, en effet. Mon père qui fut pasteur de l’ex LMS puis Inspecteur des Ecoles de cette même mission protestante nous a acheté, alors que nous venons de débarquer à Tana un harmonium portatif ; j’avais à peine 5 ans. Il nous a juste montré l’utilisation du solfa (méthode de transcription et de lecture musicales des britanniques d’antan, toujours utilisée dans les temples protestants), et nous a laissé tous seuls comme des grands en autodidactes. Mon frère Lao et moi-même avons appris la musique de cette façon, sans enseignant.
Ralaiarijaona, premier président du premier bureau de l'Ordre des Journalistes de Madagascar
Quelques années après, j’intégrais une chorale privée, « KEROBIMA », dirigée par mon oncle, le journaliste Ralaiarijaona, par ailleurs un très grand artiste. On peut dire que c’est lui qui m’a initié à l’art dans le sens général du terme. En 1971, je dirigeais la chorale « Hasin’ny Famonjena » du FJKM d’Amparibe-Famonjena, et je ne saurais pas taire le sentiment d’appartenance que j’exprime à propos de ce groupe.
La Gazette : Et comment êtes-vous passé du genre choral aux « Hira tranainy » ? Et qu’est-ce qui vous a motivé à choisir ce genre musical ?
PROSPER RALAIARIMANANA: Une fois mes études secondaires terminées, j’ai découvert les « Hira Tranainy » avec mon ami Mbosa à l’Université et avons décidé de les approfondir. En fait, il nous arrivait déjà d’en parler au lycée Gallieni où nous étions tous les deux dans la même classe. Toutes les conditions étaient alors réunies pour réaliser notre rêve: des locaux adéquats, des emplois du temps assez souples, la présence de deux artistes de « Hira Tranainy », le pianiste Arwell (Rakotoarisoa) et le compositeur-interprète-comédien Rasamy Gitara qui nous enseignaient ce qu’il avaient vraiment vécu sur scène, et surtout des étudiants acquis à la cause artistique nationale. Par ailleurs, un certain vent de liberté culturelle soufflait à l’université incitant au retour aux sources. Mahaleo date de cette époque des années 70.
La Troupe « Ny Vaomaintilany » en mai 2014
La Gazette : Et quels étaient vos premiers objectifs ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Nous voulions ressusciter ce genre musical théâtral, style opérette, genre seulement interprété à la Tranompokonolona d’Isotry, temple du théâtre; à part les quelques initiés et mélomanes inconditionnels de cette musique, pas grand monde ne la connaissait ; nous nous sommes fixé comme objectif de les diffuser pour un plus large public dans toute l’île voire à l’étranger. Cet objectif de notre association ATAUM (Association Théâtrale et Artistique des Universitaires de Madagascar) sera le même que celui de « Ny Vaomaintilany », groupe du lycée Gallieni que j’ai créé en 1975.
La Gazette : Pouvez-vous nous dire quel genre d’artiste vous êtes ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Je crois qu’il y a deux sortes d’artistes: d’une part, les créateurs dont les compositeurs, sans qui aucune musique n’est exploitable; ce sont pour moi des êtres exceptionnels sûrement dotés d’une matière grise différente de celle des autres ; et d’autre, les interprètes qui sont indispensables pour véhiculer ces créations ; je dois faire partie de ce second groupe.
La Gazette : Est-ce que les « Hira Tranainy » sont les seuls genres artistiques que vous pratiquez ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Non, il y a aussi le genre choral que j’apprécie particulièrement, et les autres styles que j’écoute en privé ou lors de concerts: le classique, le jazz, les variétés, le folklore.
De plus, j’inclue le genre musical dans la culture en général, et quand cette dernière insère, entre autres composantes, l’histoire, la connaissance, la littérature, la philosophie, les sciences, le cinéma, le sport, l’éducation… C’est avec humilité que j’affirme pratiquer d’autres activités comme l’animation de groupe ou de scène, l’art dramatique, la calligraphie, le cruciverbisme (mots croisés) et surtout l’enseignement.
La troupe "Solika", lors de la célébration de ses 25 ans en 2014
La Gazette : Vous avez dit enseignement, ce volet de vos activités n’est pas très connu
PROSPER RALAIARIMANANA : C’est à cause des media qui, assez souvent, diffusent ou publient le pianiste dans les clips, les supports de tous genres, les concerts, la publicité. Mais l’éducateur ne doit pourtant pas être occulté, je dirais même qu’il a autant d’importance que l’artiste. Voyez vous-même: une quarantaine de promotions de bacheliers, sans compter les autres élèves des autres niveaux; des dizaines d’établissements scolaires où j’ai enseigné (publics, privés, confessionnels: protestants, catholiques, anglicans) avec, à l’actif, des cours dans presque toutes les matières allant du dessin aux sciences et pour finir avec l’histoire-géographie. Ces milliers d’élèves que j’ai eu le plaisir de former sont éparpillés partout à Madagascar et à l’étranger avec des responsabilités conformes à leur réussite.
La Gazette : A part l’enseignement, y a-t-il d’autres opportunités professionnelles qui ont marqué votre long itinéraire culturel ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Oui, je ne saurais ne pas citer le ministère chargé de la Culture qui m’a permis de compléter mon cursus tant professionnel qu’artistique. Au cours de mon passage dans ce département, j’ai eu l’opportunité de former et de diriger des groupes artistiques, d’assister à de nombreuses rencontres internationales, d’élargir mon horizon avec d’autres cieux m’ayant permis de côtoyer le monde restreint des agents culturels internationaux. Permettez-moi alors de vous affirmer ma fierté d’avoir pu défendre à plusieurs reprises nos couleurs artistiques à l’étranger.
Lolo sy ny tariny à ses débuts en 1970. sur la photo, de g. à dr.: Benny, Bebey, Lolo, Erick, Sammy. Mais voici le nom des dix membres du groupe à ses débuts:RAKOTOMANGA Angelo (Lolo), chanteur, guitariste, leader du groupe, RAKOTOMANGA Mathurin Hubert (Bebey), chanteur, jouant de la guitare parfois, RAKOTOMANGA Roland (Goda), percussionniste, RAKOTOMANGA Dina (Lava), batteur, RAFILIPOMANANA Erick Harisolofo (Erick MANANA), chanteur et guitariste, RABENIRAINY François (Benny), chanteur, guitariste, claviériste, RABENIRAINY Samuelson (Sammy), chanteur, jouer de lokanga, RAKOTOMALALA Andriamampianina (Passy), chanteur, joueur de valiha, RABETSARAZAKA Claude (Raplay), bassiste, RANAIVO Hanitriniaina (Hanitra), chanteuse, guitariste, percussionniste
La Gazette : C’est long, 50 ans de vie artistique et éducative. Pouvez-vous brosser en quelques mots les résultats de votre longue carrière ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Un double résultat donc en rapport avec cette double activité: dans l’enseignement, j’estime avoir fait l’essentiel, au vu des résultats à chaque fin d’année scolaire; d’anciens élèves étudiant à l’étranger m’expriment encore leur reconnaissance sur les réseaux sociaux. Quant à l’aspect artistique, depuis que nous chantions ces « Hira Tranainy » dans les années 1970, il n’y a pas une seule réunion familiale ou de groupe où on n’entonnons pas, au moins, « Mifankatiava ihany », devenu presque un hymne. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes se lancent dans le genre « bà gasy », vocal et instrumental. Enfin, je ne saurais passer sous silence les succès immenses remporté sur le plan artistique de quelques-uns de mes élèves: Benny (Lôlô sy ny tariny), Rossy, Erick Manana, Bariliva… Une véritable baume au cœur! «Izay adala no toa an-drainy».
La Gazette : Alors quel est le programme de la célébration de ce jubilé ?
PROSPER RALAIARIMANANA : Le Mardi 27 Octobre 2015, à 16h, se tiendra un culte d’action de grâces à l'église FJKM d’Amparibe-Famonjena. Un déjeuner-spectacle sera ensuite organisé le Samedi 31 Octobre 2015 à 12h30 à l’Espace Salohy, à Iavoloha. Les trois groupes où j’ai activement évolué sont « Hasin’ny Famonjena », « Ny Voamaintilany », « Solika ».
La Gazette : N’y a-t-il pas double emploi dans le choix de ces groupes?
PROSPER RALAIARIMANANA : Absolument pas. « Hasin’ny Famonjena » présente des airs particuliers au groupe, « Solika » est spécialisé dans les toutes premières chansons théâtrales, « Ny Voamaintilany » complète par des morceaux post-classiques des années 1950 et de plus tard. Avis donc aux amateurs de bonne musique malgache. Tous les goûts seront satisfaits.
La Gazette : Le mot de la fin
PROSPER RALAIARIMANANA : En cette période de marasme économique, de grande misère sociale et de flagrant échec politique, permettez-moi de reprendre une définition de la culture que je crois appropriée à notre cas: « LA CULTURE, C’EST CE QUI RESTE QUAND ON A TOUT OUBLIE ».
Retrouvailles donc à la fin du mois.
Infoline : +261 34 84Â 667 79