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Joël Andriantsimbazovina à l'Equipe Conjointe de Médiation pour Madagascar et à la Communauté internationale : « Sortir de ce débat stérile sur l'unilatéralité »

Joël Andriantsimbazovina est un juriste français né à Antsirable, capitale du Vakinankaratra. Il est Docteur en droit public, Agrégé des facultés de droit. Professeur de Droit public et Secrétaire général du Cercle des Constitutionnalistes. Ayant démissionné, en février 2009,  de sa fonction de vice-président de l’université de La Rochelle, chargé e l’action internationale et européenne, M. Andriantsimbazovina s’occupe désormais de défendre le principe constitutionnel d’indépendance des universitaires et d’une conception plus humaniste du service publice de l’université.

Jeannot Ramambazafy

Lettre ouverte aux politiques malagasy, à l'Equipe Conjointe de Médiation pour Madagascar et à la Communauté internationale

 

Le quarto Dramé, Kodjo, Ouedraogo et Chissano sortant du Palais d'Etat d'Ambohitsorohitra avant le sommet de Maputo II. Il avait assuré qu'Andry Rajoelina garderait son poste de président de transition. Mais...

« Prenons les choses du bon côté. Vous les politiques Malagasy, vous les membres de l'Equipe Conjointe de Médiation pour Madagascar, vous les membres de la Communauté internationale, dans la crise politique actuelle, vous avez la chance de disposer en Madagascar d'un laboratoire pour expérimenter une nouvelle manière de fonder des institutions véritablement démocratiques et stables après trois décennies de culture d'alternance en dehors des procédures constitutionnelles. De grâce, ne restez pas dans les schémas éculés tant à Madagascar même qu'en Afrique notamment. Ne faites pas du consensus le seul et unique objectif s'il constitue lui-même une source de blocage ou une source de perpétuation de rentes pour les classes dirigeantes.

Le peuple Malagasy souffre ; dans sa grande et sa légendaire patience, il espère que vous arriverez à vous entendre pour mettre fin aux anciennes manières de faire de la politique et de régler les conflits.

L'idée de confier à des militaires, même s'il ne s'agit pas de former un directoire militaire, les trois fonctions sur lesquelles le consensus n'a pu se faire est de celles dont il faut se débarrasser à jamais. Dans une démocratie, l'armée est neutre et reste au service du peuple, de l'Etat et du pouvoir politique. Fort heureusement, l'armée a rejeté cette proposition d'un autre siècle.

Vendredi dernier, le Président de la Haute autorité de Transition a demandé à M. Monja Roindefo de former un gouvernement d'ouverture. Certes, en apparence, cet appel peut apparaître comme unilatéral. Mais, comme chacun sait, une réalité politique indéniable apparue au grand jour lors de Maputo 2 doit être prise en compte : aucune des mouvances n'est prête actuellement comme demain à faire un consensus sur le post de la Présidence de la Transition et de Premier Ministre.

Ici et là, on focalise le débat sur l'unilatéralité et donc le caractère non consensuel de la décision du président de la Haute autorité de la Transition. Si l'on veut avancer dans l'intérêt supérieur du peuple Malagasy et de la Nation Malagasy, il vous appartient de sortir de ce débat stérile sur l'unilatéralité.

En l'état actuel des pratiques internationales sur la reconnaissance de gouvernement, la théorie de l'effectivité prime sur d'autres théories.

L'effectivité du pouvoir dirigé par M. Andry Rajoelina est une réalité à prendre en compte. La nier ou vouloir la contourner est source de difficulté et non de solution. La reconnaître permet d'avancer dans la recherche d'une transition neutre, inclusive, pacifique et consensuelle.

Justement que signifie une transition neutre, inclusive, pacifique et consensuelle ?

En ne donnant pas une définition claire, l'Equipe Conjointe de Médiation pour Madagascar et la Communauté internationale ont entretenu l'ambiguïté. Vous avez favorisé le développement d'interprétations contradictoires de chaque mouvance, vous avez suscité l'espoir chez certaines mouvances, la méfiance voire la déception chez d'autres. Par ailleurs, les menaces directes ou indirectes de sanction internationale à l'encontre d'un pays dont le financement dépend à 70% des aides internationales constitue certes un moyen de pression pour « forcer » le consensus, mais elles favorisent le réveil d'un nationalisme radical. À tort ou à raison, ces menaces peuvent apparaître comme injustes et inéquitables à l'égard et du peuple Malagasy et de Madagascar qui ne figure pas parmi les États dont le gouvernement constitue une menace pour la paix internationale.

On doit répondre à la question posée par rapport aux missions de la transition définies par l'article 2 de la Charte de la Transition :

- assurer la continuité de l'État et le respect de ses engagements nationaux et internationaux ;

- rétablir l'ordre et la sécurité ;

- initier le processus « vérité et réconciliation » ;

- concevoir et mettre en place des structures étatiques répondant authentiquement aux aspirations des diverses composantes du Peuple Malgache et garantissant le partage équitable des richesses et du développement économique, social, culturel et humain dans le respect de

sa diversité et de son unité ;

- organiser les consultations et consultations populaires (référendum sur la constitution et élections présidentielles et législatives) devant instaurer un nouvel ordre constitutionnel et mettre en place les institutions républicaines et démocratiques.

Au vu de ces missions, la neutralité ne concerne pas l'appartenance à une mouvance, mais touche l'attitude, à savoir de se consacrer strictement et loyalement à ces missions. Le caractère inclusif signifie la participation des différentes mouvances à la Transition. Toutefois, à ce sujet, le caractère inclusif ne signifie pas la participation égalitaire des mouvances à la Transition. Lorsque cette participation égalitaire s'impose, les Accords de Maputo le prévoient explicitement.

Ce qui signifie que en dehors des cas prévus littéralement par les accords, cette participation se fait selon le critère de la légitimité et de l'équité. En tenant compte des événements qui ont conduit à l'actuelle Transition, il est légitime que la mouvance Rajoelina bénéficie d'une majorité raisonnable des ministères et des sièges. Au vu des aspirations légitimes des autres mouvances, il est équitable que celles-ci se répartissent les autres ministères et sièges. Le caractère pacifique de la Transition n'a pas besoin de commentaire particulier :

il appartient à toutes les mouvances de s'abstenir de comportements, de paroles, d'actes susceptibles de troubler l'ordre public et la sécurité. Enfin, le caractère consensuel ne doit pas être entendu dans un sens qui bloque toute solution.

Compte tenu de ces éléments, pour peu que vous voudrez bien écouter la voix de la raison et non celle de la passion, pour peu que vous voudrez bien penser à l'intérêt supérieur du peuple Malagasy et non de calculs politiciens nationaux et géostratégiques, la demande faite par M. Andry Rajoelina à Monja Roindefo de former un gouvernement d'ouverture ne constitue pas un obstacle à la mise en place d'une Transition neutre, inclusive, pacifique et consensuelle.

Afin de mener à bien ses missions, cette Transition ne doit pas être basée sur un consensus forcé, mais sur la base du respect de principes et de procédures simples et neutres.

Le principe de cohérence des têtes de l'exécutif d'abord. Dans toutes les démocraties où l'exécutif est composé d'un président et d'un premier ministre, le souci de la cohérence entre ces deux personnalités est une préoccupation majeure. La mésentente entre eux nuit à l'efficacité du gouvernement et peut être source de crise. Le système politique Malagasy

en a fait l'expérience. Aussi, pour prévenir ce type de situation, le président choisit le premier ministre que celui-ci vient de son camp ou d'un autre. Dans tous les cas, les systèmes qui ont permis ou qui permettent la cohabitation entre un président issu d'un camp avec un premier ministre d'un autre camp se sont efforcés de rendre difficile voire impossible ce type de cohabitation. Ne commençons donc pas une Transition avec un système et une pratique que le monde démocratique tente de limiter.

Ceci n'est pas incompatible avec la participation des autres mouvances dès lors le Vice-président de la Transition revient aux autres mouvances que celle du Président de la Transition et que ces mouvances bénéficient également de postes de vice-premiers ministres avec des portefeuilles de ministères importants. Il serait bienvenu que la mouvance Rajoelina n'accapare pas 70% des ministères mais simplement d'une majorité raisonnable.

Le principe de séparation des pouvoirs ensuite. Il est important que les institutions de la Transition respectent celui-ci. L'Accord politique et la Charte de la Transition y pourvoient. Dès lors que la présidence d'une des assemblées (pourquoi pas les 2 d'ailleurs) de la Transition est attribuée à d'autres mouvances que celle du président de la Transition et que la présidence du Conseil national de la Réconciliation est personnellement dévolue à la mouvance du président Albert Zafy, le caractère inclusif des institutions de la Transition est respecté.

Alors, Mesdames et Messieurs les politiques, membres de l'Equipe Conjointe de Médiation pour Madagascar et de la Communauté internationale, le peuple Malagasy vous regarde et attend de vous d'aller de l'avant vers des institutions démocratiques et stables.

 Autre lettre ouverte de l'auteur, adressée, cette fois, aux quatre chefs de file des mouvances :

http://www.madagascar-tribune.com/Pensez-vous-au-peuple-Malagasy-et,12707.html#forum27879

 Joël Andriantsimbazovina

Paris, le 8 septembre 2009

Mis à jour ( Samedi, 12 Septembre 2009 18:00 )  
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