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Madagate.com n’est pas un de ces supports occasionnels financés pour une « cause » déjà indéfendable, usant du proverbe « honni soit qui mal y pense», devant le tribunal de l’Histoire. Aujourd’hui, nous accueillons Lalatiana Rakotondrazafy (en haut à droite sur la photo), une consœur qui apporte un autre éclairage sur la vérité historique de la transition malgache 2009-2010. Ce genre de vérité ne s’invente jamais et blesse toujours les analystes… unilatéraux. De quel bord est Lalatiana ? Elle est du côté de la majorité des citoyens Malgaches qui aspirent à un changement vrai et pérenne.
Jeannot RAMAMBAZAFY - Rédacteur en chef
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Plusieurs bonnes et pertinentes raisons pour ne plus appliquer la Charte de Maputo, sur le plan purement juridique. Cette analyse essaie en fait de démontrer, avec l’aide de juristes regroupés au sein du « Groupe de juristes indépendants », qui ont choisi de travailler dans l’ombre, les propres limites que porte en elle-même cette fameuse Charte ainsi que les germes de sa propre annulation.
D’abord, l’article 40 de cette Charte prévoit que « pour sa mise en œuvre,…dès sa signature, les organes et institutions prévus par la Charte seront mis en place dans un délai n’excédant pas trente jours » et que « les différentes mouvances politiques signataires de la présente Charte procèdent à la désignation des membres de toutes les institutions et organes prévues dans un délai n’excédant pas 30jours ».
La Charte a été signée le 09 août 2009, et un mois plus tard, l’article 40 n’a pas encore reçu application, faute de consensus entre les parties concernées. Cette condition de délai, essentielle pour la Communauté internationale, n’ayant pas été respectée, la Charte est devenue caduque, donc dépourvue de toute valeur juridique.
Mais les magiciens ou plutôt les sorciers du GIC l’ont ressuscité à Addis-Abeba, comme ils ont fait avec les chefs des soi-disant « mouvances ».
En outre, sur le plan de la forme, l’article 45, aliéna 2, de la Charte parle de « ratification et de publication». Qui devait alors ratifier la Charte, parce que les trois mouvances n’ont jamais accepté Andry Rajoelina comme Président de la Haute Autorité de la Transition, qui pourtant était avant Maputo, la seule autorité légitime et légale sur le sol malgache ? Mais il fallait que la Charte soit ratifiée, pour que les politiciens issus des « différentes mouvances » puissent être « officiellement » intégrés dans les hautes sphères de l’Etat. Et c’était là le deuxième grand problème.
Le Président de la HAT a donc procédé à la ratification de la Charte par voie d’ordonnance le 08 septembre 2009, comme le lui a recommandé la Haute Cour Constitutionnelle Malgache. Et la question pertinente, pourquoi les trois mouvances n’ont jamais contesté la ratification de cette Charte par Andry Rajoelina, président de la HAT, alors qu’ils n’ont jamais reconnu Andry Rajoelina comme Président ? Tout simplement parce que dans le second cas, il n’y avait pas leurs sièges en jeu.
Même chose pour la nomination de Mangalaza Eugène au poste de Premier Ministre de consensus, selon l’esprit des accords de Maputo, après la table ronde entre les représentants des 04 mouvances le 06 octobre 2009 au Carlton. Mangalaza Eugène a été nommé par Andry Rajoelina, le 10 octobre 2009, alors que ce dernier n’était encore que le Président de la HAT (jusque là , aucun acte signé ne lui avait consacré Président de la Transition selon les accords de Maputo. Il l’était devenu seulement après la signature de l’acte additionnel d’Addis-Abeba au mois de novembre 2009 dernier). Mais personne ne réagissait, alors que quand Mangalaza Eugène était limogé, les trois mouvances s’étaient empressées de contester le limogeage arguant que c’est la « communauté internationale » (le GIC) qui l’a placé à ce poste. Si Andry Rajoelina Président de la HAT pouvait le nommer, Andry Rajoelina Président de la HAT pouvait donc bien le limoger.
La Charte en elle-même au lieu d’arranger les choses, n’a finalement fait qu’entraîner un imbroglio juridique tellement inextricable que tout le monde a préféré fermer les yeux et ignorer les problèmes. Mais plusieurs zones d’ombre doivent être évoquées :
D’abord, quelle peut être réellement la nature juridique de cette Charte ? On peut dire tout ce qu’on veut, mais ce n’est point une convention internationale. En droit international, le terme de ratification ne s’applique qu’aux traités, accords et conventions entre deux ou plusieurs Etats différents ou organisations d’Etats. Or la Charte de Maputo est un acte de droit privé (se permettant de disposer de la chose publique) entre personnes privées de même nationalité. D’un côté ; il y avait trois quidams (trois chefs d’Etat déchus ; soi-disant chefs de mouvances) qui ne représentaient qu’eux-mêmes (jusqu’à maintenant, on s’est abstenu de donner une définition juridique à la notion de « mouvance »). De l’autre, un personnage supposé être auteur de coup d’Etat qui n’avait donc pas la reconnaissance internationale. C’est donc n’importe quoi et ce n’est pas une prétendue « ratification » qui y changerait quelque chose.
Et puis, de tout ce qui précède, quand on a dit que cette Charte a valeur constitutionnelle, c’est carrément une aberration.
Ensuite, il n’est même pas utile de se poser la question de la validité de la soi-disant « ordonnance de ratification » qui n’a pas été soumise au contrôle de la Haute Cour constitutionnelle avant sa promulgation. Si par impossible, cette fameuse Charte était une convention internationale, elle aurait dû, -elle-même et pas seulement son ordonnance de ratification- être soumise au contrôle de constitutionalité.
Selon les dispositions de l’article 132, alinéa 3a de la constitution en effet, « avant toute ratification, les traités sont soumis par le Président de la République, au contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour constitutionnelle. En cas de non-conformité à la Constitution, il ne peut y avoir ratification qu’après révision de ceux-ci… ».
En dernière analyse donc, il est tout simplement impossible de trouver une place à cette Charte de Maputo dans l’ordonnancement juridique interne de l’Etat Malgache. Ce n’est ni un texte constitutionnel, ni encore moins un traité international.
La seule autorité jusqu’à maintenant à Madagascar, et qui a une légalité incontestable, c’est la Haute Autorité de la Transition présidée par Andry Rajoelina. Elle a vu effectivement sa légitimité populaire consolidée par la légalité juridique et officielle.
En effet, il faut rappeler ce qui s’est réellement passé.
Il y a eu d’abord les vastes manifestations populaires revendiquant la démission de Ravalomanana au cours des premiers mois de l’année, pas seulement à Antananarivo sur la place du 13 mai mais dans toutes les régions de l’île. Même jusque dans des petites contrées. Des images de la répression des manifestations menée par le régime de l’époque le prouvent d’ailleurs. Et pendant la même période a surgi le mouvement insurrectionnel de la « Haute Autorité de la Transition » présidée par Andry Rajoelina et la nomination d’un Premier Ministre en la personne de Monja Roindefo avec la formation d’un gouvernement parallèle.
Ces faits poussés par l’intensité du mouvement populaire qui a réclamé l’accession de Andry Rajoelina, dirigeant de la lutte populaire, au pouvoir, ont amené Marc Ravalomanana à décréter la dissolution du gouvernement Charles Rabemananjara et à prendre une ordonnance accordant les pleins pouvoirs à un « directoire militaire » de son imagination, qui serait composé selon son auteur, des plus hauts gradés de chaque corps d’arme. Or, ces officiers supérieurs n’ont pas été consultés au préalable et au moment où l’ordonnance avait été prise par l’ancien Président, ils en ignoraient l’existence, de toutes les façons, ils n’avaient pas non plus rien demandé dans ce sens.
Parallèlement à cette ordonnance, Ravalomanana a également remis sa lettre de démission à Niels Marquardt, ambassadeur américain en poste à Antananarivo qui a déjà témoigné et affirmé avoir vu cette lettre de démission. Mais de toutes les façons, la Haute Cour constitutionnelle a déjà très clairement statué que la remise des pleins pouvoirs à un Directoire militaire équivalait sans aucun doute à un acte de démission. Donc, dès cette étape là , Ravalomanana lui-même avait sorti le processus de prise de pouvoir du cadre constitutionnel. La Constitution prévoit en effet qu’en cas de démission du Président ; son intérim est assuré par le Président du sénat. Mais lui-même était à ce moment-là introuvable. Aussi, les officiers supérieurs se sont-ils empressés de transférer ces pleins pouvoirs dont ils ne voulaient pas (le Vice-amiral Hippolyte Ramaroson qui était à la tête en a déjà témoigné) à Andry Rajoelina. Pour sa part, la HCC saisie comme il se doit en pareil cas, a validé les actes ainsi pris, lesquels donc font désormais partie de l’ordonnancement juridique interne de l’Etat.
En conclusion de tout cela, on voit bien, mais on feint d’ignorer que la Charte de Maputo viole bel et bien l’ordonnancement juridique interne de l’Etat Malgache et que certaines de ses dispositions portent atteinte à sa souveraineté.
Le sens et la portée de l’article 40 de la Charte ne peuvent échapper à la sagacité des juristes de tout pays. Malgré cela, le GIC, sous l’égide de l’Union africaine, a fixé la date du 06 octobre 2009 pour la reprise des négociations au Carlton à Antananarivo. Ce groupe a ainsi manifesté par là sa détermination à faire accepter ; à tout prix, aux Malgaches les accords de Maputo avec leurs lots de contradictions et incohérences internes ; leur côté immoral favorisant les intérêts personnels et l’impunité de leurs signataires. Du point de vue éthique, il n’est pas besoin de se forcer pour frémir d’horreur sur le caractère immoral de ces Charte et accords qui consacrent un principe d’impunité au bénéfice d’individus coupables de détournements de deniers publics et de biens publics qui ont du sang sur les mains.
Ce forcing du GIC pour ranimer une Charte mort-née, au mépris du droit (international et national) a donné naissance à un semblant de consensus -le 06 octobre 2009 au Carlton- sur la désignation d’un Premier Ministre et d’un Vice-président de la Transition. Mais un consensus seulement partiel et qui devait encore nécessiter la signature de tous les « chefs de mouvance ».
L’acte additionnel du 06 novembre 2009 à Addis-Abeba qui n’est qu’un vulgaire partage de gâteau, constitue la consécration de cette grosse farce juridico-politique dont est victime le peuple malgache.
Enfin, l’intervention de la Communauté internationale, en particulier l’Union africaine, la SADC et leurs mandataires n’est pas juridiquement justifiée.
Sur la base de la déclaration AHG/décl.S (XXXVI) sur le « Cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement », adoptée par la 36è session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement tenue à Lomé (Togo) du 10 au 12 juillet 2000, l’Union Africaine a condamné de « changement anticonstitutionnel » de gouvernement et a suspendu Madagascar des organes de décision de ladite Organisation.
Mais il y a là matière à protestation vigoureuse et fondée (dont il est regrettable que le Chef de la diplomatie malgache de l’époque n’ait pas réagi à ce sujet). En effet, la Déclaration citée donne la définition suivante aux situations pouvant être considérées comme un changement anticonstitutionnel de gouvernement : « un coup d’Etat militaire contre un gouvernement issu d’élections démocratiques ». Un coup d’Etat militaire est donc l’élément constitutif nécessaire et suffisant pour caractériser le changement anticonstitutionnel de gouvernement et pour que ledit changement soit condamnable.
Or, dans le cas malgache, il n’y a pas de preuve qu’il y ait usage de la force armée avec contrainte irrésistible sur l’ex-Président Ravalomanana pour le forcer à démissionner. Encore une fois, l’Ambassadeur des USA Niels Marquardt en a été témoin oculaire et il a déjà affirmé à plusieurs reprises dans les médias locaux qu’il n’y a jamais eu de militaires ayant pris d’assaut le Palais d’Etat d’Iavoloha, le jour où Ravalomanana a remis sa lettre de démission, dans ce même Palais d’Iavoloha, et a décidé de remettre les pleins pouvoirs au Directoire militaire. Il n’y a eu aucune présence d’une quelconque force armée qui l‘aurait menacé comme il l’a allégué par la suite de son exil sud-africain.
Certes, il y a eu changement de gouvernement non conforme à la Constitution malgache, et c’est Ravalomanana lui-même qui en était l’auteur principal (mise en place d’un directoire militaire prévu nulle part dans la Constitution), mais il n’y a pas eu cet élément « coup d’Etat militaire » dont la réalité est nécessaire pour justifier une condamnation et par la suite, une sanction. (Le vice-Amiral Hyppolite Ramaroson, a déjà affirmé très clairement qu’ils ont décidé de remettre les pleins pouvoirs à Andry Rajoelina sans aucune menace ni contrainte pendant leur présence au CAPSAT Soanierana).
Par conséquent, aucune des sanctions prévues dans la Déclaration AHG/décl.S (XXXVI) n’est applicable dans le cas de Madagascar.
En plus, l’Equipe conjointe de Médiation pour Madagascar (ECMM), transformée par la suite en Groupe de contact international ; mandatée par le Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la SADC (juin 2009) n’a pas sa raison d’être en n’aurait jamais dû exister faute de fondement juridique.
Faute de réaction de la part des autorités malgaches -dont cependant la légalité consacrée par la HCC ne saurait être remise en cause- par le biais de sa diplomatie, l’ECMM a imposé :
- Leur concept anti-démocratique de « consensualisme et inclusif » pour la résolution de la crise,
- Les quatre soi-disant « mouvances » qui n’ont rien à voir avec la réalité sociopolitique malgache actuelle, notamment en terme de représentativité.
Il en est résulté que l’ingérence de la Communauté internationale dans les affaires internes de Madagascar n’a eu pour résultat que d’aggraver la discorde entre les malgaches et le désordre dans la conduite de la vie nationale, en raison de l’ineffectivité des charte et accords de Maputo.
Pour résumer, il faut que les autorités transitoires actuelles se ressaisissent et agissent sur le plan international, en saisissant la cour internationale de Justice sur :
- La non-conformité des sanctions appliquées par l’union africaine à l’encontre de la République de Madagascar par rapport à la Déclaration AHG/décl.S( XXXVI) sur le « cadre pour une réaction de l’OUA aux changements anticonstitutionnels de gouvernement », adoptée par la 36è conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement à Lomé Togo du 10 au 12 juillet 2000.
- La violation du principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat membre et le non respect de l’indépendance politique de l’Etat Malgache par le soi-disant médiateurs (ECMM/GIC) mandatés par le Sommet extraordinaire des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la SADC.
Ces actions permettront à la République de Madagascar de retrouver un peu de sa dignité et la place qui aurait dû toujours être la sienne dans le concert des Nations, après toutes ces avanies dont elle a été victime.
Antananarivo, ce 16 février 2010
Lalatiana Rakotondrazafy
(Journaliste, chroniqueur politique)