Madeleine Ramaholimihaso et Jean Eric Rakotoarisoa
CONTRIBUTION À UNE SORTIE DE CRISE
Après deux ans et demi de transition, le pays est toujours dans l’impasse. Si la « feuille de route » a longtemps entretenu l’espoir d’une issue satisfaisante, force est de constater aujourd’hui qu’elle ne fait plus l’unanimité. Parallèlement, l’action des pouvoirs publics est loin de répondre aux critères de la « bonne gouvernance » attendue, à savoir l’Etat de droit, la démocratie, la participation, la redevabilité, la transparence, la décentralisation, la vision stratégique, etc.
L’État est-il dirigé ?
Plus que jamais, Madagascar vit dans l’anarchie et la corruption. Cette situation ne semble guère préoccuper les dirigeants, soit totalement indifférents, soit incapables d’assumer les plus élémentaires responsabilités. C’est d’abord le cas de la justice. Prétendre que les auteurs du « trafic de bois de rose » ont été identifiés mais que leurs noms ne peuvent être divulgués au motif que l’instruction est en cours, est peu crédible. Dans d’autres dossiers, on ne s’est guère soucié du secret de l’instruction, en révélant au public les noms des inculpés. A présent, le BIANCO, l’ONI et le Ministère de la Justice se renvoient la balle. Le citoyen en conclut que les plus hautes instances de l’État, seules en mesure d’imposer le silence et de laisser faire les trafics, sont complices. Le président de la HAT a promis la lumière sur ces détournements massifs et sur la corruption qu’ils supposent, on attend qu’il tienne parole. Il en va de même pour les cas de pédophilie et d’abus sexuels sur mineurs : à notre connaissance, aucune affaire touchant des politiciens en vue et des étrangers « protégés » n’a été prise en compte par la justice.
L’incapacité de gouverner se manifeste à présent dans les plus hautes sphères de l’État. Alors que le premier Ministre avait interdit aux nouveaux ministres de remanier le staff technique de leur ministère, trois d’entre eux ont sciemment enfreint cet ordre, et s’en sont publiquement vantés, sans la moindre réaction de la Primature. Autre exemple : la mise en place envisagée d’un nouvel organisme chargé de chapeauter la CENI, au prétexte que cette dernière ne ferait pas correctement son travail. Plutôt que de créer une nouvelle institution budgétivore, mieux vaudrait améliorer l’existant et obtenir une plus grande transparence dans la gestion du budget alloué à la CENI, jusque dans ses moindres démembrements. Car s’il est normal que le personnel ne perçoive sa rémunération qu’après le service accompli, il convient aussi de payer ses indemnités de déplacement avant le départ en mission : les déplacements étant fréquents, les employés ne peuvent pas en avancer les frais.
Un constat analogue peut être fait en matière de sécurité. Les forces de l’ordre sont manifestement débordées. Comment pourrait-il en être autrement, sachant que certains de leurs éléments viennent grossir les rangs des malfaiteurs ? Pourtant, aucune affaire les impliquant n’a abouti au tribunal. On retrouve la même anarchie au niveau des investisseurs : certains étrangers agissent impunément, au mépris de la loi et de l’environnement. Dans l’enseignement, la navigation à vue s’est imposée : plus aucune visibilité pour l’enseignement supérieur, plus de politique bien assise pour les niveaux inférieurs ni même de calendrier scolaire pour les élèves. L’État n’exerçant plus ses prérogatives, chacun s’estime autorisé à agir comme bon lui semble, les plus forts au détriment des plus faibles évidemment.
Pour en sortir, l’arbitrage du peuple
La société civile tente d’apporter sa contribution au dénouement de la crise. Mais nombre d’initiatives se heurtent à la politisation de certaines de ses composantes. Car la société civile n’a pas, par nature, à s’impliquer dans l’élaboration d’un schéma politique dont elle serait partie prenante. L’expérience malheureuse du FFKM en 1991 a montré les limites de l’exercice.
Pour sa part, le SeFaFi a demandé depuis des mois la tenue rapide d’élections, aux conditions qu’il n’a cessé d’exposer : code électoral, neutralité (CENI), transparence, financement, sanctions, observation de la communauté internationale, etc. Et s’il préconise de tenir les législatives avant les présidentielles, ce n’est pas seulement à cause de la difficulté d’emploi du bulletin unique, au cas où les présidentielles étaient jumelées avec les législatives. C’est essentiellement pour que la représentativité nationale des hommes et des partis politiques soit garantie par le suffrage universel. A l’inverse, commencer par les élections présidentielles fausserait le verdict des législatives, car l’élection des députés serait inévitablement influencée par le résultat des présidentielles.
Or, après deux ans d’annonces toujours démenties et de promesses jamais tenues, c’est aujourd’hui le silence total sur le calendrier électoral. Et chaque semaine qui passe repousse les échéances électorales à 2012, et donc à une quatrième année de transition, ce que refuse la plupart des citoyens. Il faut en conclure que les responsables de la transition ne songent qu’à conserver leur pouvoir de fait et les avantages qu’ils en retirent à des fins personnelles ; et qu’ils ne se soucient ni de la pauvreté et de l’insécurité croissante de la population, ni de la légitimité de leur pouvoir, ni de la reconnaissance internationale…
D’où la proposition du SeFaFi d’organiser impérativement des élections législatives avant la fin de l’année, au plus tard en novembre. Ainsi une Assemblé nationale légitime pourra adopter en priorité les lois organiques et une loi d’amnistie - lesquelles relèvent exclusivement d’une Assemblée élue. Il lui reviendra, après avoir présenté (« par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblé nationale », Constitution, art. 54) le premier ministre de son choix, d’exercer la plénitude de son pouvoir de faire les lois, en mettant un terme à la pratique honteuse qui consiste à entériner sans amendements les textes élaborés par l’exécutif. Les élections présidentielles devront alors se tenir dès la fin de la saison des pluies. Quant aux maires dont les mandats arrivent à expiration en décembre prochain, il serait inopportun et contestable de les remplacer par des délégations spéciales ; mieux vaudra prolonger leur mandat et celui des conseillers jusqu’à la tenue, dans les plus brefs délais, des élections territoriales.
Personne ne peut décemment récuser l’arbitrage du peuple. Mais pour que cet arbitrage soit valable, l’ensemble des parties prenantes doit pouvoir juger de l’objectivité du processus électoral, et en accepter le verdict. Il faut donc leur donner toute leur place en réaménageant la CENI, et leur offrir plus de garanties en acceptant la supervision des observateurs étrangers. Si tel est le cas, aucun démocrate ne pourra s’opposer à une élection, ni en contester le verdict.
SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique
Lot III R 45 ter Tsarafaritra, Tsimbazaza, Antananarivo 101
Tél/fax : 22 548 88 Email : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.
Antananarivo, le 9 juillet 2011