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Jeune Afrique n° 2639 du 7 au 10 août 2011, page 6
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La SADC est-elle apte à résoudre la crise politique qui prévaut à Madagascar ? La question peut se poser car, depuis 2009, date à laquelle la SADC (Communauté pour le développement de l’Afrique australe) joue le rôle de médiation, c’est-à -dire il y a plus de deux ans, la Grande île de l’océan Indien est toujours frappée par un isolement intentionnel vis-à -vis de la communauté dite internationale. D’un côté, on ne peut lui jeter la première pierre étant donné que le slogan « coup d’état » a été fortement médiatisé. Ce, à partir d’énormes mensonges racontés à l’envi par Marc Ravalomanana lui-même, devant la SADC, en mars 2009. Il importe de rétablir la vérité historique.
Durant la matinée du 17 mars 2009, au Palais d’Ambohitsorohitra, M. Ravalomanana a dissous son gouvernement et a remis ses pouvoirs à un directoire militaire qui les a remis, à son tour, au leader de la révolution orange, Andry Rajoelina. Des documents officiels existent pour l’attester. L’incident qui a mené à bousculer quelque peu des ambassadeurs, dont celui des U.S.A., Niels Marquardt, n’a eu lieu qu’en fin d’après-midi à l’Episcopat d’Antanimena. Mais l’amalgame s’est rapidement fait grâce au réseau de blogs et sites générés sur l’nternet par des membres de la diaspora malgache, réunis sous l’appellation de Gtt («Gasy tia tanindrazana» ou Malgaches aimant la patrie). Une entité créée en mars 2009 rien que pour défendre les intérêts du président démissionnaire fuyard.
Partant de cette imbrication des faits, le chapitre de l’accord de Cotonou sur les changements inconstitutionnels a été largement évoqué. Et continue de l’être. L’autre question, qui n’a jamais trouvé de réponse à ce jour est : pourquoi est-ce la SADC, communauté à vocation plutôt économique plus que politique, qui a été désignée comme médiateur d’une crise considérée comme politique ? Par ailleurs, ce qui a encore plus épaissi sinon alourdi le problème, aura été l’implication des deux anciens présidents malgaches dont l’histoire rappelle qu’ils n’ont pas terminé leur mandat respectif à la suite d’un soulèvement populaire en 1991 (Didier Ratsiraka) et d’un empêchement en 1996 (Zafy Albert).
La COI (Commission de l’océan Indien) aurait été l’entité la plus appropriée pour être mandatée dans ce rôle de médiation, du fait d’une position géographique et d’une culture communes. En sus, la SADC est une entité à 90% anglophone alors que la Grande île de l’océan Indien est francophone. Par ailleurs, Madagascar, quoi que l’on dise, n’est pas l’Afrique où les armes à feu tonnent plus fort que les déclarations de bonne intention, face à un problème social, économique ou politique donné. Le peuple malgache a toujours été un peuple gueulard mais foncièrement pacifique. Evoquer une guerre civile, sinon tribale, émane d’une vision étriquée et d’une méconnaissance totale de l’identité culturelle de la Grande île, faite du brassage de trois cultures : polynésienne, arabe et africaine. Comme en 1972, en 1991 et en 2002, il n’y a jamais eu de coup d’état en 2009 à Madagascar.
En cette année 2009, le changement inconstitutionnel s’est fait à la suite d’un mécontentement populaire qui grondait depuis 2005. Mais le diktat imposé par Marc Ravalomanana était si fort que personne, surtout pas l’opposition, n’avait osé bouger le moindre petit doigt. Il aura fallu la défaite du parti au pouvoir, le TIM (« Tiako i Madagasikara » fondé par M. Ravalomanana), à la mairie d’Antananarivo, en 2006, face à Andry Rajoelina, pour que les choses bougent. Les Malgaches attendaient un leader pour se lever contre un président qui avait failli à son serment. Ils l’ont trouvé en la personne du maire de la Capitale de Madagascar, qui avait littéralement été martyrisé par le pouvoir central, dans sa gestion de la ville. Des documents officiels existent aussi, qui prouvent toutes les cabales menées contre M. Rajoelina.
Lors de l’authentique coup d’état perpétré au Niger, en février 2010, c’est la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui joua le rôle de médiateur. Au départ, elle avait condamné ce coup d'Etat militaire au Niger qui a été suspendu de cette entité. Le 31 janvier 2011, des élections sont organisées au Niger, sous la surveillance d’observateurs de la CEDEAO qui, en mars 2011, lève cette suspension. Ainsi, bien que ce fut un authentique coup d’état, militaire qui plus est, la CEDEAO a résorbé le problème en une année, pour le retour à l’ordre constitutionnel. Il en est de même pour la Guinée Conakry où un authentique coup d’état également, a été perpétré en décembre 2008. Désignée comme médiateur, la CEDEAO a immédiatement condamné cet acte anticonstitutionnel. Or, le 27 juin 2010, des élections sont organisées dans lesquelles la CEDEAO envoie pas moins de 200 observateurs. Et, en mars 2011, elle lève sa suspension de la Guinée Conakry qui retrouve sa place dans le concert des nations. Ici, la CEDEAO a mis deux ans pour résorber le problème.
C'est en ce lieu qu'a été organisé la réunion de "la dernière chance", avec la présence de représentants de onze entités malgaches, le 6 et 7 juin 2011. Certaines venues en charter affrété par la Sadc. Rien n'a été décisif pour la sortie de crise. Puis il y eut encore la réunion de Sandton...
Concernant Madagascar, le problème persistait encore au mois de juillet 2011. Cela est du à la valse-hésitation incompréhensible de la SADC -étant devenue juge et partie- et ses réunions de « dernière chance ».
De 2009 à 2011, les protagonistes impliqués ont été baladés d’Addis-Abeba à Gaborone, en passant par Maputo. Des « mouvances » ont été créées, avant d’en arriver à onze entités politiques qui ont paraphé une feuille de route devant des représentants de la Communauté internationale. Puis, qui ont été appelées par la SADC à Gaborone pour rien, en fait. Malgré le flou artistique entretenu sur les résolutions de Windhoek et de Sandton, l’ultime étape de sortie de crise reste la signature de cette feuille de route qui, selon Tomaz Salomao, Secrétaire exécutif de la SADC, ne fera l’objet que d’un amendement sur le point 20. Or, certains chefs d’Etats anglophones, membres de la SADC, se sont levés officieusement pour le contredire. Cependant, en ce début du mois d’août 2011, c’est le black-out total de la part de la SADC dont le 31è sommet aura lieu à Luanda, les 17 et 18 août. A priori donc, il n’y aura aucune question de signature avant cet énième sommet de la « dernière chance » pour résoudre la crise à Madagascar, qui a un impact plus que négatif sur la vie des Malgaches dans leur ensemble.
Néanmoins, le chef de la Médiation internationale, Joaquim Chissano, serait attendu dans la Grande île dans les prochains jours, avant cette réunion au sommet de la SADC, comme il est stipulé dans le communiqué de Sandton, lors du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine.
La SADC a toujours clamé la solution « malgacho-malgache ». Or, tout semble dépendre d’elle. Elle confisque carrément la clé de la solution alors que tout est déjà en place pour l’organisation d’élections transparentes et équitables, reconnue de et par tous. A y voir de plus près, la SADC semble faire peu de cas des intérêts réels du peuple malgache mais vogue au fil du temps, en se focalisant sur la personnalité des protagonistes qu’elle a, elle-même, impliqué. Elle donne l’impression de gagner du temps. Mais pour qui, pourquoi ?
La crise malgache risque fort de faire un gigantesque bond en arrière et toutes les maigres avancées effectuées depuis deux ans seront remises en question. Même si, de leur côté, les entités politiques et celles de la société civile, cherchent encore, à l’heure actuelle, d’autres solutions « malgacho-malgaches ».
Mais, à bien y voir, chacun tire la couverture à soi, dans une cacophonie indescriptible comme s’il était urgent, impératif de parler, même pour ne rien dire ni apporter des solutions concrètes. Des réunions de constatation s’organisent ici et là . En fait, les politiciens malgaches n’ont aucune volonté de sortir des sentiers battus du culte de la personnalité ultra paupérisant -à travers un homme et un parti politique créé au pied levé (PSD, AREMA, UNDD, TIM, TGV)- et de l’enrichissement personnel à vie, sur le dos du peuple et des bailleurs de fonds traditionnels. Par ailleurs, les politiciens malgaches ont une propension a beaucoup parler, pour étaler des connaissances livresques, pour faire des constats que tout le monde connaît par cœur, pour noyer le poisson. Mais pour apporter des solutions concrètes, à mettre en pratique pour le bien commun, à ce rythme il faudra bien attendre l’an 2050 pour que la Grande île commence à se développer. Lorsque le pays sera dépouillé de toutes ses richesses naturelles et minières. A ce moment-là les Malgaches seront réellement pauvres avec un grand P.
Médiateur ou juge et partie au gré de son humeur ?
Et tout ceci nous fait reposer la sempiternelle question : La SADC est-elle apte à résoudre la crise politique à Madagascar ? Ou alors pense-t-elle qu’il n’y pas eu assez de sang malgache versé, comparé aux crises africaines bien sanglantes et très fratricides ?... Après le 13 mai 1972, après le 10 août 1991, après le début de l’année 2002, après le 7 février 2009, non seulement les Malgaches, bercés à chaque fois d’illusions, se sont sentis « libérés » et n’ont jamais aimé qu’on leur donne des ordres. Mais, en prime, ils ont rarement suivi les ordres donnés. Comment vivre -et survivre- dans ce contexte d’éternelle rébellion stérile liée à un esprit de colonisé qui tarde à être extirpé ? Il faudra bien quatre générations pour en venir à bout. Et à chaque sentiment de « libération », mêmes réflexes, même schéma propre à un cheval débridé (« Soavaly tapa-kofehy »). Une sorte de jeu sordide où tout le monde peut acheter tout le monde et ou chacun se vend au plus offrant. Car, paradoxalement, les Malgaches n’ont jamais rien fait par eux-mêmes, en matière de changement, mais ont toujours attendu un messie : un marin, un chirurgien, un laitier. Jusqu’ici, c’est la Grande désillusion… L’actuel jeune, ancien organisateur évènementiel, va-t-il faire la différence et va-t-il démontrer que Nelson Mandela est bien son idole ? Et de quelle manière ? Ce n’est pas sorcier…
Comme en Guinée Conakry, comme au Niger, la transition malgache présente arrivera à son terme à l’issue d’élections au suffrage universel. En termes simples : lorsque les dirigeants malgaches seront élus. La reconnaissance internationale suivra automatiquement. Mais à Madagascar, on adore s’amuser à penser le contraire. Qui, dès lors, a intérêt à ce que cette actuelle période de transition perdure, et la crise avec ? Situation de tous les impossibles, qui arrange bien les « affaires » de certains… Jusqu’à la prochaine « révolution » ?
Dossier de Jeannot Ramambazafy – 10 août 2011