Madeleine Ramaholimihaso et Jean Eric Rakotoarisoa, membres fondateurs du SeFaFi
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SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
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QUELLE AMNISTIE, ET POUR QUOI FAIRE ?
La question controversée de l’amnistie se trouve au cœur du conflit politique depuis des mois. Le sujet divise l’opinion, et le SeFaFi lui-même peine à élaborer une ligne de pensée qui concilie les points de vue légitimes des uns et des autres. Sur cette question, bute aujourd’hui le schéma d’une sortie de crise sereine et durable. Anticipant sur cette sérénité et son caractère durable, l’article 16 de la Feuille de route du 18 septembre 2011 précise qu’aucune élection ne peut avoir lieu sans l’adoption d’une loi d’amnistie.
Derrière le mot « amnistie » toutefois, dont le sens exact échappe à beaucoup, se joue le sort de la transition et, pour une part, l’avenir du pays pour les années à venir. Le SeFaFi engage donc ici une réflexion destinée à éclairer le débat, afin que chacun puisse prendre position en connaissance de cause et que les politiciens agissent en fonction des enjeux nationaux et non pour satisfaire leurs prétentions égotistes, leurs ambitions politiques et leurs intérêts personnels.
Qu’est-ce qu’une amnistie ?
Dans sa définition la plus simple, l’amnistie est un acte législatif qui fait disparaître le caractère délictueux d’une action. Elle aboutit à l’effacement pur et simple d’actes qui ont violé la loi. Sans nier les faits, elle efface leurs conséquences juridiques. Si les faits incriminés ont déjà été jugés, on parlera d’une amnistie des peines qui supprime les condamnations prononcées sans pour autant effacer les faits; si les faits n’ont pas encore été jugés, on parlera d’une amnistie des faits qui arrête toute poursuite pénale contre une infraction.
Ainsi donc, ne peuvent être amnistiés que des faits précis. Il ne peut exister d’amnistie générale couvrant une époque définie sans que soit fournie la liste des délits concernés et de leurs auteurs présumés, pas plus qu’il ne peut y avoir d’amnistie pour une catégorie d’infractions sans que soit précisées les circonstances dans lesquelles chacune a été commise et l’identité de leur auteur. Enfin, les amnisties sont souvent soumises à des restrictions : il est des délits qui ne peuvent être amnistiés. La feuille de route en énumère quelques-uns.
L’amnistie selon la Feuille de route
Le cadre juridique en est clairement posé par la Feuille de route : « la loi d’amnistie sera ratifiée par le Parlement de Transition » (art. 18). Rappelons toutefois que les membres de ce Parlement (Conseil Supérieur de la Transition et Congrès de la Transition) n’ont pas été élus par le peuple ; ils ont été nommés au terme d’un processus entièrement contrôlé par des politiciens auto-désignés. Ils auront donc à pallier ce défaut de légitimité populaire en votant une loi d’amnistie qui soit clairement au-dessus de tout soupçon partisan. Sur quoi devra alors porter cette amnistie? Dans le même article 18, la Feuille de route donne deux précisions essentielles, en mentionnant l’« octroi d’une amnistie large pour tous les évènements politiques intervenus entre 2002 et 2009 ». Les limites dans lesquelles une amnistie peut être octroyée sont ainsi balisées : elles obligent le législateur à se limiter aux seuls actes politiques répertoriés entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2009. La question rebondit aussitôt : qu’est-ce qu’un « événement politique » ? Il n’est pas inutile de rappeler ici que le politique consiste à gérer une collectivité, à savoir l’Etat et ses démembrements, en vue du bien commun de la nation et en vertu des pouvoirs obtenus par délégation populaire. Ainsi, seuls les délits en rapport avec l’exercice du pouvoir sont donc concernés par l’amnistie. Et cela vaut évidemment pour tous ceux qui ont exercé des responsabilités politiques avec Marc Ravalomanana de 2002 à 2009, ainsi que pour tous ceux qui ont participé à la Transition en 2009.
A l’inverse, les délits de droit commun, même liés à l’exercice du pouvoir, n’entrent pas dans le champ de l’amnistie. Ainsi, un détournement de fonds publics n’est pas un événement politique. La fraude fiscale, l’accaparement illicite de terrains publics ou privés, toute forme de corruption active ou passive, le viol ou la signature d’un chèque sans provision ne sont pas des événements politiques. Même si (et surtout si) ces faits répréhensibles sont commis par des hommes politiques, ils ne relèvent pas de l’amnistie. Le SeFaFi n’a cessé de dénoncer ces malversations et l’impunité qui leur est liée (1). Fidèle à sa ligne de conduite suivie depuis dix ans, il ne peut aujourd’hui se déjuger en ce domaine. Les restrictions à l’amnistie La Feuille de route introduit, dans son article 18, l’exigence pour la Transition d’octroyer une « amnistie large ». Ce qui signifie, avant toute autre considération, que l’amnistie envisagée ne sera ni systématique ni inconditionnelle. Une amnistie ne pourra donc être que sélective, si l’on considère la palette des délits que les politiciens sont susceptibles d’avoir commis. Mais la Feuille de route introduit d’autres restrictions. A deux reprises, et cette répétition est significative, elle exclut formellement de l’amnistie et de toute mesure d’apaisement, « les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide et les autres violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (articles 16 et 18). Madagascar n’a sans doute jamais connu de génocide, mais d’autres crimes et violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales y ont été commis, y compris pendant les années 2002 à 2009. Une conscience citoyenne ne peut ignorer ces réalités, ne fût-ce que pour garder mémoire de ceux et celles qui en ont été les victimes innocentes. Ce qui suscite une nouvelle difficulté : qui va établir la liste des délits ainsi qualifiés pour être amnistiés ?
(1) « Les entorses aux pratiques budgétaires », 14 mai 2004, dans Une démocratie bien gérée, décentralisée et laïque, à quelles conditions ?, SeFaFi, 2005, p. 10-17. « Souveraineté nationale et droits de l’homme », 22 mai 2007, dans Elections et droits de l’homme : la démocratie au défi, SeFaFi, 2008, p. 28-35. « La force ne résout pas les problèmes », 19 avril 2009, dans Tourmente populaire et confusion politique, SeFaFi, 2010, p. 20-25. « Halte à l’impunité », 19 février 2010, dans Quand les politiciens prennent les citoyens en otage, SeFaFi, 2011, p. 16-23…
L’établissement de la liste
Le prix à payer pour se faire amnistier sera de figurer sur une liste publique, communiquée aux médias, et qui porte mention des crimes amnistiés. L’accord sur l’amnistie que nos politiciens, non élus et donc non-redevables aux citoyens, auront mis au point devra être soumis au droit de regard du peuple. Contrairement à ce qui a été fait dans le passé, la loi d’amnistie devra présenter la liste des personnes concernées, ainsi que des faits et des peines amnistiés. Chez les politiques, l’intérêt de la population ne vient pas en priorité. Dans le contexte juridico-politique actuel, qui a perdu toute crédibilité, le meilleur espoir d’arriver à l’apaisement consiste à reconnaître ce qui a été fait, avec rigueur et honnêteté. Il reviendra alors au décideur ultime, le peuple, de trancher par un vote émis en toute connaissance de cause, comme le veut la démocratie. Il ne peut donc pas y avoir d’amnistie sans qu’ait été établie au préalable la liste des délits à amnistier, conformément à l’esprit de la feuille de route. Mais à qui reviendra-t-il de dresser cette liste, en qualifiant les faits incriminés et les peines prononcées qui feront l’objet d’une amnistie ? A cette question cruciale, une première réponse de bon sens s’impose : il serait inconcevable, socialement injuste et moralement inadmissible, que cette liste soit établie par les seuls politiciens. Nul ne saurait être juge et partie, en une matière aussi délicate. Pareille démarche reviendrait à entériner une auto-amnistie synonyme d’impunité : venant de la part d’une classe politique qui ne cesse de s’illustrer par son incompétence, sa vénalité et sa suffisance, elle provoquerait le rejet, voire même la révolte, de la part de citoyens parfois condamnés alors qu’ils sont innocents, et toujours sans recours devant l’arbitraire d’une justice corrompue. L’impunité des soi-disant responsables n’est plus tolérable. D’où la suggestion que le SeFaFi propose à l’attention de tous : la création d’un comité ad hoc chargé d’établir la liste des personnes et des faits ou des peines à amnistier. Ce comité sera composé d’un nombre retreint (une vingtaine au plus) de personnalités notoirement courageuses et intègres, aux convictions affirmées mais respectueuses des autres. Il comptera un nombre égal de représentants de la classe politique et de représentants d’entités non politiques, les premiers étant désignés par le Parlement, les seconds par leurs corps respectifs d’appartenance : FFKM (Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar), CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature), Grands corps de l’État, Forces armées, Journalistes, etc. L’amnistie de la Feuille de route, préalable aux élections
« La loi d’amnistie sera ratifiée par le Parlement de Transition et aucune élection ne devra avoir lieu avant cette ratification » (art.18). L’injonction est sans ambigüité, mais ses conséquences n’ont sans doute pas été mesurées à leur véritable ampleur par les rédacteurs de la Feuille de route. Car l’amnistie est un outil juridique et politique d’apaisement, qui normalement suit un conflit et permet aux personnes qui se sont affrontées de reprendre la vie ensemble, dans un esprit de réconciliation. Depuis l’Antiquité, des clauses d’amnistie figurent dans les traités de paix qui concluent une guerre ou dans les édits de pacification qui mettent un terme à un conflit interne. L’amnistie a donc pour objet « une fois le règlement du conflit terminé, d’empêcher que la recherche de nouveaux griefs ne rallument les hostilités entre les belligérants. C’est une mesure d’apaisement à la fin d’un conflit » (Wikipedia).
Mais aujourd’hui, l’amnistie envisagée doit intervenir avant même que le conflit ne soit terminé, puisqu’elle doit ouvrir la voie aux élections qui, elles, constitueront l’ultime étape de la sortie de crise. C’est une première car, dans notre Grande Île, les lois d’amnistie ont toujours été promulguées a posteriori, une fois l’ordre rétabli par la répression et le pouvoir consolidé et hors de danger. Or l’enjeu de l’amnistie dont il est question ici consiste moins à faire la paix qu’à préparer la confrontation électorale. Certains politiciens en ont besoin pour se refaire une « virginité politique » : l’amnistie leur rendra un casier judiciaire « blanc », nettoyé de toute condamnation passée, leur permettant à nouveau de poser leur candidature à un poste électif. D’autres, par contre, refusent l’amnistie afin d’éliminer des adversaires électoraux potentiels dont le casier judiciaire ne leur permet pas de se présenter aux élections. Dans les deux cas, il faut le reconnaître, on assiste à une instrumentalisation de l’amnistie. Quelle est alors l’approche la plus apte à ramener la paix dans le long terme ?
L’exigence incontournable de la Feuille de route peut être satisfaite de deux manières différentes :
- La première consiste à accorder une amnistie générale et inconditionnelle à tous, en partant du principe qu’il faut rendre à chacun la possibilité de se présenter aux élections et que les citoyens feront ensuite preuve de maturité suffisante pour choisir entre le bon grain et l’ivraie. C’est là , il faut le reconnaitre, une solution risquée dans la mesure où l’expérience nous montre que l’électorat est souvent mal informé et qu’il ne vote pas forcément selon sa conscience. La conséquence en est prévisible : on prend les mêmes et on recommence ! Cette solution, conforme à l’esprit de la realpolitik, ne s’embarrasse ni de justice ni d’éthique, et se limite à gérer le court terme. Le SeFaFi est conscient qu’elle a pourtant les plus grandes chances d’être retenue, compte tenu de l’opportunisme, du cynisme et de l’absence de sens moral de notre classe politique. Il se doit de mettre en garde contre les effets nocifs à long terme de cette formule, qui consacrera la culture de l’impunité au profit des politiciens et développera frustration et mécontentement chez les citoyens.
- La deuxième option sera plus délicate à mettre en œuvre. Elle présuppose qu’une réconciliation nationale repose sur l’application de principes éthiques et des valeurs partagées de la culture nationale. Dans ce cadre, il est des délits qui ne relèvent pas de l’amnistie mais de la justice, tous les citoyens étant égaux devant la loi. D’où la nécessité d’une amnistie certes large, mais octroyée au cas par cas, et donc justifiée. Une consultation électorale ne saurait laver ce qu’une amnistie ne peut effacer, elle ne peut se substituer au tribunal pour des délits graves commis hors de la sphère politique. Cette amnistie justifiée devrait alors clairement répondre à la question : pourquoi un candidat au passé entaché de graves manquements à la loi commune pourrait-il encore prétendre à réaliser l’intérêt général de la nation ? L’histoire de Madagascar depuis 1960 est encombrée d’hommes qui, après avoir failli, ne songent qu’à revenir au pouvoir sans jamais remettre en question leurs actes et sans admettre leurs échecs. Cette irresponsabilité, doublée d’une pratique de l’impunité tenue pour normale, constitue l’obstacle majeur à une sortie durable de la crise.
L’amnistie de la Feuille de route est subordonnée à la tenue des élections. Elle va créer une situation ambigüe, aux cartes biaisées : soit une élimination a priori de candidats potentiels par loi d’amnistie sèmera les discordes de demain, soit une amnistie inconditionnelle et générale consacrera l’impunité des politiques sans résoudre les vrais problèmes. L’idéal serait alors que tous les politiciens qui ont des démêlés avec la justice aient la sagesse et le courage politique de se retirer de la vie publique, et que le président Rajoelina honore sa promesse de ne pas être candidat à l'issue de la Transition.
En toute hypothèse, la loi d’amnistie devra être large, transparente et publique. La majorité des Malgaches, y compris le SeFaFi, ne se font guère d’illusion, ils savent que toutes les parties prenantes ont un intérêt particulier à ce que l’amnistie soit prononcée ou ne le soit pas, à ce qu’elle soit générale ou sélective. A travers les régimes successifs, eux-mêmes minés par des crises incessantes, l’amnistie a servi de pansement temporaire et superficiel pour clore un épisode douloureux ou embarrassant. Nous courons actuellement le risque de répéter le même scénario, avec un risque additionnel d’envenimer la future période électorale. Mais qui est encore capable de regarder au-delà des visées électorales personnelles, de considérer le véritable intérêt général, et de choisir entre les compromissions de la realpolitik et les exigences de l’éthique citoyenne ?
Antananarivo, 3 février 2012