Laurent Bouvet est Professeur de science politique à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il nous dresse, ici les caractéristiques de ce qu'il a dénommé « hollandisme », tiré du nom du Président français, François Hollande, socialiste depuis six mois au pouvoir. Pas inutile à connaître...
Le Président François Hollande
Ce qui frappe en premier lieu dans la méthode de gouvernement du chef de l'Etat, c'est son sens de l'équilibre et sa permanente quête d'un compromis entre des positions adverses, sinon antagonistes. Toutes les interprétations sont possibles: sens tactique aigu, prudence excessive, indécision chronique...
Cette pratique du pouvoir, qui était déjà visible et sensible chez le premier secrétaire du Parti socialiste pendant dix ans, met en lumière un deuxième trait caractéristique du « hollandisme » : le refus de tout a priori idéologique, de toute position doctrinale figée.
Ce pragmatisme de l'action n'est pas un cynisme pour autant. L'ancrage du chef de l'Etat dans le réformisme, dans une perspective sociale-démocrate, à la manière des pays du Nord de l'Europe, est indéniable. Tout comme l'est son attachement, en héritier à la fois de François Mitterrand et de Jacques Delors, à la construction européenne.
Le « hollandisme » - et bien davantage encore le dépassement du clivage entre première et deuxième gauches - se propose d'entériner, dans la pratique du pouvoir, la fin de l'histoire d'une gauche française marquée par des renoncements aussi spectaculaires que ses promesses. En résumé, de ne promettre que ce que l'on peut raisonnablement tenir, et de gagner, autant que possible, tout ce que l'on peut obtenir.
Si le « hollandisme » est donc avant tout une pratique pragmatique du pouvoir,c'est aussi - troisième trait qui le caractérise - une sociologie particulière de l'exercice de l'Etat. L'arrivée de la gauche au pouvoir s'est en effet traduite par un retour des anciens élèves de l'ENA (et de manière symbolique, de certains des condisciples du président, ceux de la promotion Voltaire) et par l'accession aux responsabilités nationales de toute une génération d'élus locaux constituée au fil des victoires du PS ces dix dernières années. C'est sans doute dans cette inversion sociologique de l'élite dirigeante que le changement a été le plus spectaculaire.
M. Sarkozy avait fait bouger le centre de gravité de l'élite dirigeante vers le privé, n'hésitant pas à mettre en cause, parfois très durement, la fonction publique. La différence de profil et d'expérience des deux présidents joue un rôle crucial en la matière. Mais on peut aussi y voir une différence structurelle, accentuée ces dernières années, entre une droite dite « décomplexée » et plus agressive contre la fonction publique sinon le rôle de l'Etat lui-même, et une gauche de gouvernement dont le socle sociologique s'est resserré autour des agents publics et des collectivités locales.
Le « hollandisme » restitué dans une perspective historique plus longue - celle de la gauche française et de son rapport au pouvoir - pose, finalement, une question simple. Est-ce qu'un pragmatisme prudent, désidéologisé, permettra de réaliser le changement dont la gauche continue d'être porteuse, plutôt qu'une posture plus classique ou révolutionnaire, exaltant le "peuple de gauche", mais dont le volontarisme s'est très souvent heurté à une réalité contraire et contraignante qui en a limité effets et portée ?
Si nul n'a la réponse à une telle question aujourd'hui, elle se pose avec acuité à un moment historique crucial, pour la gauche et pour la France.
Recueillis par Jeannot Ramambazafy - 10 décembre 2012
Source : Laurent Bouvet. Il a publié un essai intitulé "Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme" (Gallimard, 304 pages). Il est également l'auteur de "Plaidoyer pour une gauche populaire. La gauche face à ses électeurs" (Bord de l'eau, 2011). Le Pr Bouvet prendra la direction du Centre de recherches politiques de Sciences Politiques en janvier 2013.