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Madagascar. Patrons, juges, journalistes et la loi par Toavina Ralambomahay

LES PATRONS, LES JUGES ET LES JOURNALISTES FONT-ILS LA LOI?

Par Toavina Ralambomahay (*)

La loi de finances rectificative n'a pas tout à fait contenté les patrons (1); la loi sur le Conseil Supérieur de Magistrature a provoqué des réactions chez les juges (2), la loi sur la cybercriminalité a suscité la colère des journalistes (3); ajoutons à cela la loi sur la décentralisation qui a déçu l'Observatoire de la Vie publique ou SeFaFi (4).

La question est alors de savoir si une loi doit être conforme aux exigences des personnes concernées pour être satisfaisante. La loi de finances ne serait acceptable qu'une fois qu'elle convient aux patrons; la loi sur les magistrats qu'une fois qu'elle reçoit l'assentiment des magistrats; la loi sur les journalistes qu'une fois qu'elle satisfait les gens des médias, etc.

Or, ce n'est pas la société civile - les patrons, les juges ou les journalistes, etc. sont des acteurs de la société civile- qui fait la loi, c'est le Parlement. Si on interprétait la réaction de ces entités, le Parlement serait condamnable lorsqu'il ne vote pas des lois qui ne leur siéent pas. Comme si le Parlement ne devait être qu'une chambre d'enregistrement de leur desiderata.

Niveau de débat

Le vrai problème se situe au niveau de l'absence de débat démocratique au moment des élections, c'est-à-dire au moment où les électeurs choisissent. Par exemple, le débat sur les lois citées ci-dessus aurait dû avoir lieu pendant la campagne portant sur l'élection des députés. Les patrons, les juges, les journalistes, le SeFaFi auraient dû mettre leurs exigences sur la table avant que ces candidats ne soient au Parlement. Ainsi, ils auraient pu juger et faire voter pour les candidats qui emmèneraient leur proposition au Parlement et les faire voter.

(*) Auteur du « Tableau des idées politiques, édition Prédiff- 2008. Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

(1) Les divers syndicats de patrons demandent une TVA de l5% Lire:

- la livraison de l'Express de Madagascar du 19 septembre 2014, article: «  Le secteur privé réclame une TVA de l5% ».

- Bloc-notes du présent numéro

(2) Les juges (via le Syndicat des magistrats de Madagascar, SMM) ont voulu que l'accès des juges au CSM soit possible après 5 ans d'expérience et non 8 comme voté par l'Assemblée nationale.

(3) Plusieurs manifestations de mécontentement se sont faites voir à propos de l'article 20 de cette loi qui envoie toute personne qui profère une injure à certaines catégories de personnes en prison :

- Le Wake-up (entité composée de quelques journalistes et journalistes-citoyens) dans les rues d'Antananarivo et sur les réseaux sociaux

- Quelques jeunes du YLTP (formés par la Fondation Friedrich Ebert), plusieurs journalistes en leur nom personnel se sont scandalisés de cet article 20 dans des conférences publiques (au DLC Anosy au mois d'août dernier etc.)

- Le Centre de presse malagasy (CPM) s'en offusque aussi dans sa publication N°3 en collaboration avec des partenaires comme l'Institut d’Études Politiques et la Banque mondiale.

(4) « Les lois sur la décentralisation, un nouveau gâchis », Antananarivo, 11 septembre 20l4

Cela aurait permis de favoriser de véritables débats d'idées pendant les trois campagnes électorales de 2013 (5). Mais malheureusement, cette société civile évite tout engagement politique, ce qui aurait permis l'existence d'un vrai débat politique, source de clivage politique. Car tant qu'il n'y a pas ce clivage politique, il n'y a pas débat, pas d'opposition déclarée, pas d'alternative préparée mais des institutions ou personnalités nommées ou élues sans idéologie, ni pensée politique comme Madagascar en a l'habitude depuis 54 ans.

Mais puisque nous sommes devant le fait accompli avec des membres du parlement payés à des millions d'ariary, pour qui on aurait voté mais envers qui personne apparemment n'a confiance, une autre solution est que les patrons, les journalistes, les juges etc. s'adressent directement aux partis politiques représentés à l'Assemblée nationale. Dans cette optique au moins, les lois bénéficient de la légitimité démocratique et, n'en déplaise à ceux qui évitent de faire de la politique ou de s'engager, la loi qui les concerne est votée par des députés ayant reçu l'onction du suffrage universel et non par des entités qui ne défendent que des intérêts particuliers comme l’est la société civile.

Que ce soit bien clair, qu'ils s'adressent aux partis politiques et non aux parlementaires plus facilement corruptibles pris individuellement qu'un parti.

L'Ă©laboration des lois Ă  la suite des ateliers

Une autre bizarrerie est l'existence de ces « Concertations, ateliers, séminaires nationaux » (6) qui ont la prétention d'écrire des lois à proposer au Parlement. Même raisonnement! Ces débats auraient dû avoir lieu avant les élections. Les différents responsables des ministères concernés expliquent que de telles rencontres sont utiles pour « donner la parole à la société civile », « les députés » n'étant «  pas représentatifs de l'opinion publique »...

Oui, des concertations existent dans les pays démocratiques, par exemple, les accords de Grenelle (7). Mais dans ces cas-là, les opinions sont déjà connues et structurées. Il est connu d'avance que telle société civile soutiendra telle idée qu'un parti politique défendra lors d'un vote et qu'une autre partie de la société civile roule pour l'idée opposée représentée par une autre formation politique. L'idée du Grenelle est donc juste de faire mieux passer la pilule et non pas de créer un consensualisrne par définition néfaste à la démocratie. Mais les oppositions restent et continuent de s'exprimer même après le vote de la loi et le Grenelle.

(5) Deux élections présidentielles et une élection législative.

(6) Concertation nationale organisée par le ministère de l'Intérieur en juillet; Concertation nationale sur l'éducation en octobre par le ministère de l'éducation nationale. Atelier de restitution et compilation des propositions en vue de la révision de la loi relative à l’adoption en juillet aussi par le ministère de ta population, etc.

(7) Terme issu des accords de 1968 qui portent le nom de la rue « Grenelle ». L'enjeu n'était certes pas de créer une loi, mais par la suite d'autres Accords inspirés de ce concept ont conduit à l'élaboration de lois.

Trois gâchis au moins !

À bien regarder le rôle assigné au Parlement qui est théoriquement censé concevoir, élaborer et adopter les lois, on constate trois gâchis:

Premier gâchis, rien ne dit que les propositions voire même les lois formulées lors de ces ateliers sont votées conformément aux vœux des séminaristes par le Parlement alors que ces ateliers ont un coût considérable. Derechef, le Parlement n'a pas la vocation à être une chambre d'enregistrement des décisions issues des colloques, il doit se soucier de l'intérêt national.

Deuxième gâchis, les résultats de ces colloques sont perçus comme étant des décisions communes, concertées et consensuelles. Est alors mal venu celui qui s'y oppose une fois les résultats validés en séance plénière. Or la démocratie vit du débat et non du consensualisme issu d'une concertation ou d'une réunion sous un arbre à palabre. La, démocratie vit à travers les partis politiques dans lesquels les techniciens (patrons, juges, journalistes, etc.) doivent adhérer pour qu'ils puissent réfléchir au-delà de leurs intérêts particuliers, pas comme dans leur syndicat corporatiste.

Troisième gâchis, le Parlement n'est pas considéré comme suffisamment représentatif alors que l’État a dépensé et s'est endetté pour 70 millions $ pour effectuer les trois dernières élections de 2013, et aujourd'hui encore indemnise les vainqueurs de ces élections à un taux dispendieux.

À bien réfléchir, le problème est de fond : la non assimilation des citoyens des pays en voie de démocratisation -dont ceux qui sont dans la société civile- de la notion importée de « démocratie » (8). Les notions de débat, d'opposition, de « langage affronté » (9) même chez les diplômés ne sont pas encore entrées dans les mœurs -même chez les diplômés-.

Bref, tant que les débats ne se font pas avant les élections (les communales seront les

Prochaines (10) avec des partis structurés idéologiquement, et que la société civile continue de fonctionner en mode « corporatiste » tout ne sera toujours qu'incantation. « Le gâchis » évoqué par le SeFaFi mais auquel il contribue, aura cours pour longtemps encore. D'ailleurs, le SeFaFi s'érige en « observateur-aristos », regarde les politiciens de haut dont des élus et les traite de « médiocres » (11), de « fous » (12), d' « amateurs » (13), etc.

(8) La référence étant Badie Bertrand (par exemple « L'Etat importé ». Fayard. 1992).

(9) Sylvain Urfer dans ses nombreux ouvrages.

(10) Étant entendu que les maires et conseillers municipaux ne font pas la loi, mais qu'en tant qu'élus ils peuvent influer sur la vie de la nation.

(11) En octobre2014, le SeFaFi les traite de « médiocres ».

(12) En juin 2013, de « fou »...

(13) En septembre 2014, d' « amateurs ».

in Revue Juridique de MCI, n° 6, 3ème trimestre 2014

Mis Ă  jour ( Jeudi, 07 Juillet 2016 07:04 )  
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