Hery Rakotomanana et Hery Rajaonarimampianina. Des complices ne se cachant pas, le premier étant forcément tributaire du second
Non ! Malgré son air bonhomme et sa façon de parler ampoulée, Hery Rakotomanana, président de la Commission nationale électorale indépendante (CENI), nommé par Hery Rajaonarimampianina, président de la république, en 2015, n’est pas tout à fait honnête, sans pour autant être tout à fait malhonnête. Il se sent tout simplement obligé de renvoyer l’ascenseur à son bienfaiteur en fermant les yeux sur le modus operandi d’une opération électorale cruciale : l’acheminement des PV, mot inexistant dans les lois malgaches sur les élections que j’ai lu et relu ces derniers jours (comme un saint précédant ces deux mots).
Introduction
« La Gazette de la Grande île » est un quotidien dans lequel règne le pluralisme d’idées dont certaines sont à défendre (non pas interdire), d’autres à expliquer. Dans un article publié le 12 novembre 2018, intitulé : « Élections présidentielles, les Russes en embuscade », il était question de « certains spécialistes russes qui sont dans nos murs et certains experts qui agissent à distance via Internet. Au moment opportun, ils n’auront aucun scrupule à faire de même avec les ordinateurs vulnérables et les serveurs obsolètes de la HCC. Ils n’auront pas grand mal à manipuler les fichiers selon leurs intérêts, en introduisant un virus par-ci, en effaçant des données par-là et en opérant des additions par-ci et des soustractions par-là . A travers la manipulation des résultats du scrutin, les Russes peuvent espérer à la fois, garder la main sur le régime et protéger leurs investissements croissants ».
Cette hypothèse à la James Bond tiendrait la route à Madagascar si, et seulement si, il existait déjà des résultats dans les ordinateurs et que, dès lors, les jeunes faisant temporairement office d’opérateurs de saisie -transformant en fichiers numériques tous les PV émanant de tous les BV- travailleraient donc pour rien en informatisant ces PV sur papier. Chaque candidat, du moins les plus sérieux, ayant un représentant au lieu où ces opérations de saisie sont effectuées, changer les chiffres et les pourcentages est très facilement repérables. Alors ?
La loi n° 2015 – 020 est muette sur le mot « acheminement » même
Il faut aller relire la loi n° 2015 – 020, promulguée à Antananarivo, le 19 octobre 2015, par Rajaonarimampianina Hery Martial, alors président de la république, relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission Électorale Nationale Indépendante ».
Dans l’article 2, on peut lire que « la Commission Électorale Nationale Indépendante est chargée de l’organisation et de la gestion de toutes les opérations électorales et référendaires ». C’est aussi large que vague. Dans l’article 38, il est écrit que : « la Commission Électorale Nationale Indépendante est chargée de : - la gestion de la logistique électorale ; - de l’organisation et de la supervision des opérations électorales ; - de la formation et de l’encadrement électoraux ; - de la mise en œuvre des attributions spécifiques prévues par le Code électoral ; - du traitement et de la publication des résultats provisoires des scrutins ; - de la définition de la politique d’éducation électorale et de la coordination des activités y afférentes ; - de veiller au respect des dispositions légales relatives aux élections ». Ici encore, le mot « acheminement » n’existe pas.
« Opération électorale » et « travaux » : expressions à tiroir
Dans l’article 54 de cette loi 2015-09, il est écrit que : « Les démembrements territoriaux de la Commission Électorale Nationale Indépendante sont des structures non permanentes. Ils sont mis en place par décision du Bureau Permanent en fonction de la nécessité pour une activité spécifique, ou pour chaque catégorie d’opération électorale ». Il n’y a rien d’évident dans ce dernier terme. Quant à l’article 90, les élections sont devenues des « travaux » effectués par des agents électoraux « désignés ». Par qui ? « La Commission Électorale Nationale Indépendante peut mettre en place un comité local ou désigner des agents électoraux pour assurer l’exécution des travaux au niveau du Fokontany ».
Le voile va se lever…
Jusqu’ici, alors, nous ne savons pas qui exactement s’occupe de l’acheminement des PV vers la CENI à Antananarivo. Je me suis alors rabattu sur le tristement célèbre projet de loi organique n° 06/2018 du 21 février 2018 relative à l’élection du Président de la République, signé Mahafaly Solonandrasana Olivier alors Premier ministre. Rappelons que son « vote » à main levée monétisé a causé la mort de deux personnes, le 21 avril 2018, sur la place du 13-Mai et a coûté sa place au PM Mahafaly, remplacé par Ntsay Christian. Dans ce projet de loi, à l’article 55, on sait qui s’occupe des envois des PV mais par quel(s) moyen(s) ? Mystère. Mais après avoir lu ce qui suit, exercice fastidieux pour vous, certes, mais nécessaire, vous comprendrez où se situe le hold-up électoral à Madagascar. Surtout pourquoi l’espace d’un week-end et en nocturne, le pourcentage du numéro 12 a augmenté sans cesse. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre alors. Allons-y et levons péniblement le voile.
Extraits de la loi organique n° 06/2018 du 21 février 2018 : arrêt « déterminant » au niveau des districts
Article 55 – Le procès-verbal des opérations électorales de chaque bureau de vote, les listes électorales émargées, les bulletins exprimés, les bulletins blancs et nuls, les bulletins contestés et, le cas échéant, les enveloppes pour le second tour de scrutin, les feuilles de dépouillement et de pointage et éventuellement, les mandats des délégués et les attestations des observateurs ainsi que les éventuels bulletins retranchés dûment contresignés sont placés sous pli fermé par le président du bureau électoral, et paraphé par les membres du bureau électoral, en présence des signataires du procès-verbal.
Le pli fermé est envoyé par la voie la plus rapide à la diligence du président du bureau électoral, du représentant local de la Commission Électorale Nationale Indépendante et du premier responsable du Fokontany au président de la Section de recensement matériel des votes (SRMV) du démembrement de la Commission Électorale Nationale Indépendante au niveau du District qui est seul habilité à l’ouvrir en présence des membres de ladite Section .
Article 56 – Au fur et à mesure de l’arrivée des plis contenant les documents électoraux, la Section de recensement matériel des votes du démembrement de la Commission Électorale Nationale Indépendante au niveau du District, procède immédiatement et publiquement au recensement matériel des votes à la réception du pli contenant les documents électoraux.
Son rôle consiste à vérifier entre autres :
-le contenu des plis fermés provenant des bureaux électoraux;
-les divers calculs effectués par les bureaux électoraux;
-les bulletins déclarés blancs et nuls par les bureaux électoraux;
-les bulletins contestés.
Article 57 – Sans pouvoir procéder aux redressements ou aux rectifications des résultats, la Section de recensement matériel des votes dresse procès-verbal de ses constatations, notamment des erreurs ou des irrégularités qu’elle a relevées par bureau de vote.
Elle consigne dans ce procès-verbal tout fait, tout élément, toute anomalie qu’elle a pu relever sur les documents, par bureau de vote. Si pour des raisons majeures, les résultats d’un ou de plusieurs bureaux de vote n’ont pas pu être acheminés dans un délai de cinq (5) jours suivant la date du scrutin à la section de recensement matériel des votes, celle-ci dresse un procès-verbal de carence.
Article 58 – A compter de la réception du dernier pli émanant du bureau électoral ou de la date du procès-verbal de carence, la Section de recensement matériel des votes doit transmettre sous pli fermé, dans un délai de vingt-quatre (24) heures, à la Commission Electorale Nationale Indépendante, tous les documents ayant servi aux opérations électorales accompagnés du procès-verbal de ses travaux ainsi que le bordereau récapitulatif.
La copie du procès-verbal des travaux effectués par la Section de recensement matériel des votes et celle des éventuels procès-verbaux de carence dressés par elle sont adressées à la Haute Cour Constitutionnelle.
De tout ce qui précède, l’acheminement vers la destination finale, qui est la Ceni à Antananarivo, comprend donc une « pause déterminante » au niveau des districts. Faut-il vous faire un dessin ? Qui a nommé les chefs de districts ? Et en quoi peut aussi intervenir, à ce moment précis, cette « Centaine d'experts du processus électoral, originaires de 25 pays européens, [qui ont] les yeux rivés sur les étapes de l'après-scrutin : fermeture des bureaux de vote, dépouillement, ou acheminement des quelques 25 000 procès-verbaux jusqu'à la Ceni, l'instance en charge d'annoncer les résultats » (source : Rfi). Bon à savoir pour vous, amis lecteurs : la liste avec l’emplacement des 24.852 bureaux de vote de l’élection du 07 novembre 2018, comporte 669 pages au format Pdf (ICI). Elle a été annexée à la délibération n°017/CENI/D/18 du 28 août 2018, puis signée par le Directeur des opérations électorales, Andriantsiferana Abdon Rinarisoa le 29 août 2018. Une grande responsabilité globale, donc vague, n’est-ce pas ?
Exit le n°25
Hery Ceni -et non Hery fini-, s’il avait un fond d’honnêteté, aurait dû mettre en pratique l’article 41 de la loi n° 2015 – 020 qui stipule : Dans l’exécution de ses attributions, la Commission Électorale Nationale Indépendante, sans pour autant remettre en cause son indépendance, peut solliciter l’aide, l’assistance ou l’appui de l’Administration ou d’autres organismes nationaux ou internationaux conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
Seulement voilà : les scores du candidat n° 13 sont tellement élevés que retarder plus longtemps encore la publication des résultats ne sera plus ni viable ni fiable et encore moins transparent. Aussi, qui prend le pari avec moi sur le fait que le score du président démissionnaire atteindra presque les 10% ? Car, oui : Hery Rakotomanana veut sauver la face de Hery Rajaonarimampianina. S’il réussit, les 50 millions ariary reviendront à ce dernier mais il ne reviendra plus jamais au pouvoir. Même en 2030. Car tout se jouera entre le n°12 et le n°13 et adieu pour toujours au n° 25.
Jeannot Ramambazafy – Article également publié dans « La Gazette de la Grande île » du 14 novembre 2018
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