Un proverbe malgache dit: «Ny nenina tsy ao aloha hananatra fa ao aoriana handatsa». Cela signifie que les remords ne donnent pas de conseils avant un fait donné, mais apporteront des reproches après. Plutôt que de vous saouler en vous énumérant ce que le monde entier sait déjà -mais que la communauté des intérêts financiers internationaux fait semblant d’ignorer-, en ce qui concerne la piètre gouvernance du Hery vaovao depuis janvier 2014, je vais utiliser l’identité culturelle bien malagasy pour rappeler à toutes et à tous que tout a une fin ici-bas, et qu’au moment où l’on s’y attend le moins, un évènement totalement imprévu par le plus intelligent des hommes, met à terre n’importe quel plan de n’importe quoi, malgré des milliards de dollars dépensés. Sinon, il n’y aurait vraiment plus de justice sur la planète Terre et Dieu n’existerait pas. Allons-y d’abord avec des extraits d’un recueil intitulé «L'hospitalité, un devoir sacré dans les contes malgaches» de Michel Razafiarivony, Docteur en Littérature et Enseignant-chercheur à l'Institut de Civilisation, musée d'Art et d'Archéologie à Antananarivo.
NENINA LE REMORDS N’EST PAS AVANT
Dans une région de la Grande île, il y avait un jeune homme qui avait pris une seconde femme pour épouse. Auparavant, il avait eu un enfant unique: le nom de cet enfant était Nenina. Ce dernier, un garçon, n’était donc pas le fils de sa femme actuelle dans la maison. De cette dernière il a eu deux fils. Ainsi Nenina subissait la tutelle d’une marâtre. Un jour, alors qu’ils cuisinaient ensemble, ses demi-frères dirent à Nenina: «On va te donner le dessus de la marmite et nous aurons le milieu». Nenina répondit alors: «C’est bien, c’est le sommet, je suis donc le chef suprême de nous tous dans la maison». Réplique de ses demi-frères: «Tu verras, tu mourras. Et on va dire çà à maman!».
Après le rapportage (de la maison qui mérite un coup de bâton) à leur mère, celle-ci déclara alors: «Ah bon!? Désormais, je lui donnerai le milieu. Rien ne me donne plus d’ennui que cet imbécile de Nenina». Nenina qui, décidément était ce qu’on appelle un jeune homme «cool» de nos jours, déclara alors: «C’est très bien car, dans ce cas, je symbolise donc le centre de nous tous à la maison». Second rapportage des autres enfants à leur mère qui annonce, cette fois: «Ah, ce petit diable de Nenina, je le tuerai! Je vais le faire regretter à la mort en lui donnant l’«ampango» (riz brûlé qui reste au fond de la marmite après la cuisson)». A cela, Nenina répondit, très décontracté: «Vous êtes ignorants! La croute du fond, c’est la racine et la base. Je suis donc la base de tout ce qui se trouve dans la maison et la racine de tous dans la maison».
Troisième rapportage de ses demi-frères à leur mère qui cracha: «Ah oui? Je vais raconter çà à son père car je ne supporte plus ce diable de Nenina». Et elle le fit lorsque le père revint de la forêt: «Il n’y a rien qui me rend folle que ce que ton fils me fait. Si tu ne le tues pas, je quitte cette maison». Réponse du père, aveuglé par l’amour, sans nul doute: «D’accord mais comment va-t-on faire?». Idée de la femme: «Envoyons-le chez le grand chef  qui lui coupera la tête». «Mais comment allons-nous lui présenter la chose?», demanda le père. Ils décidèrent alors d’aller ensemble voir le grand chef du village, à qui ils dirent: «Ô grand chef, nous avons un fils qui nous cause trop de problèmes. Il est désobéissant et ne respecte pas ses parents. Or, selon nos lois, les personnes désobéissantes, il faut les tuer. Aussi, coupez-lui la tête».  Réplique du grand chef: «Amenez-le moi». Ce fut alors que le père proposa ceci: «Tous nos enfants viendront et Nenina sera celui qui tiendra une fleur». «D’accord, je dirai au bourreau de l’attendre et de faire son travail», assura le grand chef.
Les parents rentrèrent chez eux, dirent aux trois enfants qu’il fallait qu’ils aillent voir le grand chef. Ils remirent une fleur à Nenina à qui ils déclarèrent: «Nenina, c’est toi qui apporteras cette fleur au grand chef. C’est un signe d’honneur et une marque de remerciement pour lui. C’est toi seul qui dois la lui apporter. Surtout ne vous arrêtez pas en chemin». A quelques kilomètres de la demeure du grand chef, Nenina eut subitement mal au ventre. Il donna alors la fleur à l’aîné des fils de sa marâtre en lui disant: «Je dois aller au petit coin. Prends cette fleur et va avec les autres (son frère cadet et les serviteurs les escortant). Ne vous arrêtez pas en chemin, papa et maman nous ont bien avertis, attention!». Et Nenina s’enfonça dans un coin de forêt pour satisfaire son besoin pressant, tandis que ses demi-frères poursuivirent leur route. De loin, le bourreau les aperçut. Dès que le premier, qui portait une fleur, fut proche de lui, il lui coupa la tête. Pris de frayeur, l’autre fils détala en prenant le sens inverse. Puis il tomba nez à nez sur Nenina, étonné, qui lui demanda: «Pourquoi es-tu revenu? Est-ce que la fleur est bien arrivée?». Réponse bégayante: «Le grand chef a fait coupe la tête de frère aîné! C’est pour çà que je suis revenu». Ils décidèrent alors de prendre leurs jambes à leur cou pour rentrer chez leurs parents.
Mise au courant, la mère gémit: «Ah mon fils, je suis morte! Ah si Nenina était parti devant, mon fils ne serait pas mort. Quelle malchance!».
Et c’est de ce conte qu’a été tirée l’expression: «Ny nenina tsy ao aloha hananatra fa ao aoriana handatsa». En effet, si Nenina était parti devant, le fils aîné de la marâtre n’aurait pas été décapité. Malchance pour le fils aîné de la femme? Besoin soudain providentiel pour Nenina? Quoi qu’il en soit, les regrets ne viennent toujours qu’après pour blâmer. Et qui a eu l’idée de tuer Nenina? Alors si vous n’avez rien compris à la morale de ce conte, c’est que vous êtes encore plus nuls que les dirigeants malgaches actuels.
Avant-hier, 28 décembre 2017, le Premier ministre du «gouvernement de combat», Olivier Mahafaly Solonandrasana, sans cravate pour paraître décontracté, a fait un bilan plus qu’élogieux de l’année 2017, devant les journalistes: en résumé, pour lui, Madagascar est devenu un paradis depuis l’accession du candidat n°3 de décembre 2013 ; le développement est proche et tout le reste n’est que mensonges et la faute des autres, surtout celle du régime de transition, y compris le déchainement des éléments naturels. Mais il suffira d’un seul minuscule grain de sable pour que cette belle présentation coince complètement et s’écroule comme un château de sable face à un imprévisible tsunami qui peut prendre n’importe quelle forme: social, économique ou politique. Ou les trois à la fois. Ainsi, comme je l’ai mis en titre, Madagascar 2018 sera l’année des remords pour les uns, des reproches pour les autres.
Ensuite, pour faire… suite au conte de Nenina, Il existe aussi une autre notion proche et assez complexe, introduite il y a longtemps par le Pasteur Richard Mahitsison Andriamanjato, décédé en 2013. Il s’agit du «Tsiny» et du «Tody». En gros, le «Tsiny » et le «Tody» sont deux manières d’être, à la fois individuelles et collectives, qui soudent entre eux, à travers les générations, les Malagasy en les ancrant dans un temps mythique, à la fois singulier et complexe. D’un côté, le «Tsiny» (traduit par «censure» ou «blâme»), une sorte de sanction pour qui a, malgré lui, transgressé les nombreuses règles et coutumes qui rythment la vie insulaire. De l’autre, le «Tody» (traduit par «retour» ou «représailles»), le retour éternel de ce que l’on a fait et qui s’exprime aussi bien dans ce que l’on fait à autrui, dans la maladie ou dans la catastrophe. «Ny tody tsy misy fa ny atao ihany no miverina». En version simplifiée, le «Tsiny» (blâme) est une faille dans l'ordre des choses, tandis que le «tody» (retour) a pour fonction de rétablir cet ordre.
Concernant particulièrement le président Hery Rajaonarimampianina, l’année 2017, qui prend fin et qui ne reviendra plus jamais, a démontré qu’à chaque fois qu’il dit une chose, les réalités le contredisent d’une manière cinglante. La dernière en date a été le kidnapping de Nathan Andriantsitohaina. Lors du 34e épisode de son rendez-vous hebdomadaire sur la chaine youtube, il a déclaré, en matière d’insécurité: «Le défi est d’instaurer le calme sur tout le territoire. Les forces de l’ordre ont fait d’immenses efforts et nous les y encourageons». C’est quelques minutes après la diffusion de ces déclarations qu’a eu lieu le kidnapping de Nathan au Marais Masay, le vendredi 22 décembre. Deux jours auparavant, c’est John Razaly qui a été enlevé à Ankorondrano. Si Nathan a été libéré la veille de Noël (lire «Malagasy Kidnapping. Porte ouverte aux kidnappeurs à la sauvette» publié aussi dans la Gazette de la Grande île du 27 décembre 2017), John, lui, est toujours aux mains de ses ravisseurs.
Il faut aussi saluer son courage pour avoir dit: «Nous sommes riches, nous avons le potentiel, mais le peuple a été appauvri». Ce n’est certainement pas devant un miroir qu’il a répété cette phrase, afin d’éviter de se voir, lui qui a réussi l’exploit sans précédent d’avoir placé Madagascar à la 5è place des pays les plus pauvres du monde, en quatre ans seulement. Enfin, il a déclaré que «l’espoir est toujours là et nous devons redresse la tête». Sacré Hery vaovao va! Eh oui, l’espoir qui fait vivre les imbéciles, sans aucun doute! Allez, arrêtons ici les frais! Je souhaite à toutes et à tous «Bonne année» quand même, et pensez à voir dans quel camp vous serez en 2018. Celui du «Nenina» ou du «Latsa»? Mais ce ne sera jamais dans les deux, même pour le plus professionnel des champions de Madagascar du retournement de veste et de changement de couleur de cravate.
Jeannot Ramambazafy - Article publié également dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 30 Décembre 2017