Le Fonds monétaire international (FMI) avec lequel la Grande Ile est liée par un important programme de soutien financier s’est empressé d’écarter d’éventuelles spéculations: «Ce départ ne devrait pas affecter les relations entre nos institutions respectives», a déclaré Patrick Imam, le représentant du FMI à Antananarivo. M. Rakotoarimanana avait su gagner la confiance des bailleurs de fonds en se montrant intransigeant sur l’application des mesures entérinées dans le cadre de la Facilité élargie de crédit conclue en juillet 2016 pour un montant de 304 millions de dollars (263,6 millions d’euros).
Accord financier avec la Chine
Les circonstances dans lesquelles intervient sa démission s’inscrivent dans un contexte marqué par de nouveaux scandales de corruption impliquant des proches du chef de l’État. Le ministre démissionnaire est resté flou sur les raisons de son départ, évoquant « un manque de soutien » pour engager des réformes et une « divergence de point de vue » sur la façon de travailler. Cet ancien compagnon d’études du président de la République, expert-comptable comme lui et rentré à sa demande du Canada en 2015, aurait en réalité souhaité prendre ses distances avec une gestion peu scrupuleuse des finances publiques à l’approche de la prochaine échéance électorale de 2018. Il avait publiquement dénoncé la gestion de deux entreprises publiques, la Jirama, société de production d’eau et d’électricité et la compagnie aérienne Air Madagascar. Mais ce sont les contrats signés avec la Chine lors d’un voyage présidentiel en mars, puis un accord financier conclu avec Pékin à son insu, il y a quelques jours, qui auraient scellé sa décision.
Ce trou d’air gouvernemental rapidement maîtrisé en apparence ne règle pas ce qui pourrait être beaucoup plus déflagratoire pour le chef de l’État: «l’affaire Claudine», du prénom de cette femme d’affaires et conseillère du président soupçonnée de détournements de fonds dans des subventions attribuées aux communes. Après de rocambolesques rebondissements, le Bureau indépendant anti-corruption (Bianco) est parvenu à faire incarcérer Claudine Razaimamonjy et élargit ses investigations aux ministres ayant facilité «l’évacuation sanitaire» de la femme d’affaires à Maurice pendant une quinzaine de jours. Trois ministres sont directement visés: le ministre de la santé, celui de la justice et le premier ministre, Olivier Mahafaly, en sa qualité de ministre de l’intérieur. Ce dernier a lui-même signé les ordres de virement de subventions exceptionnelles destinées à certaines communes.
Grève des magistrats
Interpellé par le Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM) en grève depuis le 11 juillet pour réclamer le respect de l’indépendance de la justice, Olivier Mahafaly a finalement répondu à la demande de dialogue. «Des discussions ont commencé mardi pour huit jours, confirme la présidente du SMM, Fanirisoa Ernaivo. Nos neuf revendications vont être examinées dans le cadre d’une table ronde et nous ferons un bilan le 28 juillet. La poursuite de la procédure engagée contre Claudine Razaimamonjy est aussi sur la table». Début avril, le ministre de la justice était intervenu directement auprès du Bianco pour exiger la remise en liberté de la femme d’affaires, ce qui avait déclenché un mouvement de protestation des magistrats qui n’est pas retombé depuis.
Jusqu’à quand le chef de l’État maintiendra-t-il sa confiance à son premier ministre? La démission du ministre des finances aurait pu être l’occasion d’un remaniement plus large. Depuis plusieurs semaines, les représentants des bailleurs se relaient pour «conseiller de remettre de l’ordre» dans le gouvernement. Ils ont pour eux de solides arguments. En décembre 2016, la conférence organisée à Paris, au siège de l’Unesco, avait permis de rassembler près de 6 milliards d’euros de promesses d’aide pour financer le plan national de développement de Madagascar. Qualifiée d’« historique » par Hery Rajaonarimampianina, elle a marqué le retour en grâce du pays auprès des bailleurs. Six mois après, certains peuvent avoir le sentiment d’avoir été bernés. Tandis que l’île s’enfonce dans la crise et l’insécurité, le « nouveau Madagascar » annoncé à Paris par le président ne ressemble plus qu’à un mirage.
Laurence CARAMEL
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Mais quels arguments la délégation malagasie a-t-elle pu bien avancer devant les experts onusiens ? L'actualité, les différents rapports d'experts et témoignages de la population laissent aujourd'hui peu de portes de sorties aux représentants actuels de l'île rouge pour défendre un bilan de corruption et atteintes aux libertés ces quatre dernières années. « A Madagascar, la situation en matière de droits humains est en train de se dégrader fortement, car, de toute évidence, l’État de droit n'est pas respecté », a déclaré Desprose Muchena, directeur du programme Afrique australe d'Amnesty internationale.
Pourtant, le Président Hery Rajaonarimampianina, élu en 2013, suscitait un grand espoir. Soutenu par la Communauté internationale et Ministre des finances d'Andry Rajoelina, Président de la Transition de 2009 à 2013, le nouveau Président au profil gestionnaire sans passé politique houleux, semblait être l'homme d'une politique volontariste de développement qui sortirait peut-être l'île de l'abîme.
Une corruption institutionnalisée qui ne date pas d'hier
Peu s'en est fallu pour que les promesses ne soient plus qu'illusions: une corruption institutionnalisée continue de pulluler à tous les niveaux de la société. L'exécutif et une grande partie des parlementaires se sont récemment dressés pour « l'affaire Claudine » contre le Bureau indépendant anti-corruption (Bianco), seul grand organe indépendant anti-corruption du pays2. Tout y passe; intimidations, menaces, pressions en tout genre. Lors d'un passage à Paris, le Président Rajaonarimampianina a même démenti l'existence de tout lien avec celle qui est sa conseillère spéciale et milliardaire, accusée de détournement de fonds publics. Et pour ne rien arranger, la Première Dame Voahangy Rajaonarimampianina, est grande amie de Claudine Razaimamonjy avec qui elle partage des séances de shopping intensives dans les luxueux centres commerciaux de Johannesburg.
Une violente corruption gangrène le pouvoir et les instances juridiques. « La justice est sous la coupe de l'exécutif et l'Etat de droit est en danger » affirme la Présidente du syndicat des magistrats de Madagascar, Fanirisoa Ernaivo au micro de TV5 Monde. La grève entamée le mardi 11 juillet 2017 par les magistrats pour réclamer le respect de l'indépendance de la justice, témoigne de l'inaction délibérée du gouvernement en matière assainissement du secteur public. Au niveau politique, la récente interdiction du rassemblement du TIM, pour l'anniversaire du parti de Marc Ravalomanana rend compte de la volonté de museler une opposition qui cherche à se mettre en rang3. A Madagascar, inutile de parler de quatrième pouvoir ; plusieurs observateurs indiquent que bon nombre de journalistes s'autocensurent, de peur d'être victimes d'intimidations de la part de personnes souhaitant protéger des intérêts particuliers, notamment sur le trafic et l'exploitation illégale du bois de rose et autres essences, dont plusieurs proches du gouvernement en sont les acteurs clés. En outre, corrélations politiques et économiques sont depuis longtemps installées à Madagascar, où l'accaparement des richesses fait rage alors que la pauvreté bas des records.
Aucun des potentiels de cette île magnifique ne sont correctement exploités, pas même le tourisme -l'un des meilleurs atout économique de Madagascar- dont le Ministre à drastiquement réduit les crédits. Il faut dire que l'insécurité patente n'arrange pas la situation : en février 2017, des policiers auraient incendié cinq villages de la commune d’Antsakabary après que deux de leurs collègues aient été tués, semble-t-il, par des villageois4. En effet, faute d'une justice efficace, la population se fait justice elle-même, ce qui explique l'augmentation du nombre de lynchages et un taux de criminalité élevé.
Échéances électorales en 2018 : que choisir entre la peste et le choléra ?
Malheureusement, la classe politique est ici encore davantage intéressée par son enrichissement personnel que par le souci du bien collectif, un état d'esprit qui semble être collectif au continent africain, dont Madagascar est l'un des pays les plus corrompu. Pourtant, une réelle alternance ne semble pas émerger de l'offre politique malgache actuelle en vue des prochaines élections présidentielles normalement prévue pour décembre 2018. Alors que le Président Hery Rajaonarimampianina souhaite briguer un second mandat malgré un bilan désastreux, l'ancien Président pour la première fois élu en 2001, Marc Ravalomanana, a récemment annoncé sa candidature, une décennie après avoir fuit le pays après sa démission5.
Outre le fait que la victoire de 2001 ait été contestée par une partie de l'opposition, le nouveau président, qui est aussi PDG du groupe Tiko, fleuron de l'industrie agro-alimentaire malgache, ne fera pas défaut à la coutume. Président de la République malagasie pendant huit ans, il aurait favorisé sa propre entreprise sur les marchés publics et est suspecté d'avoir éliminé les entrepreneurs malgaches performants pour se placer lui-même dans tous les secteurs économiques avantageux. Un vaste manège organisé sous l'égide de son Ministre de l'économie, son nom, qui n'est autre que le conseiller fiscal de Tiko.
Au cours de son mandat, il accroit la présidentialisation du régime malgache et s'octroie l'achat d'un Boeing aux frais du contribuable. L'affaire fera scandale et le bolide est revendu par la suite par le futur Président Andry Rajoelina, qui reverse les fonds à la population. Bien qu'il ait mis en place le Bianco en 2004, le Président ne s'est pour autant pas senti concerné par la démarche: aujourd'hui, il refuse encore de se soumettre à tout exercice de transparence sur ces biens, alors qu'il fut déjà condamné par le Tribunal économique spécial de Tana.
En 2008, il trahit la confiance que le peuple lui avait accordée en vendant à l'entreprise sud-coréenne Daewoo Logistics environ 1,3 millions d'hectares de terres exploitables6, tout en sachant l'attachement sacré à la terre des malgaches. Cette démarche est vivement dénoncée par la société civile et annonce les prémices de la grave crise qui secourra l'île rouge l'année suivante.
Pourtant, celui qui est reconnu coupable pour le meurtre massifs de civils en 2009 et que l'on nommait le « Président dictateur » s'érige aujourd'hui en figure incontournable de l'opposition, victime du pouvoir en place. Le 8 juillet, il a organisé une manifestation pour l'anniversaire de son parti, le TIM, interdit par un arrêté préfectoral. Un habile coup de communication savamment orchestré afin de préparer son retour sur la scène politique nationale.
L'appel du pouvoir
Malgré un bilan très mitigé, l'appel du pouvoir subsiste, et Marc Ravalomanana n'est pas le seul. La fonction présidentielle s'avère être très confortable à Madagascar, puisqu'un autre ancien Président semble vouloir entrer dans la course présidentielle : Andry Rajoelina, alias TGV, le plus jeune Président que Madagascar ait jamais connu et qui, malgré son jeune âge, a su s'imposer comme l'homme fort de la transition en 2009.
L'élection présidentielle de 2018 ne sera pas le premier terrain sur lequel les deux hommes s'affrontent. Ils ont depuis longtemps engagés un bras-de-fer. Déjà , durant son mandat de maire de la Capitale, Andry Rajoelina n'a pas cessé de critiquer et de dénoncer les pratiques du pouvoir dont la gouvernance administrative et financière a souvent porté préjudice à son action politique. Fin décembre 2008, le Ministre de la Communication de Marc Ravalomanana décide de supprimer des ondes Viva, la chaîne de télévision du Maire de Tananarive. Car Andry Rajoelina porte une double casquette : il est aussi l'un des entrepreneurs les plus prometteurs de Madagascar. Il est le premier a avoir apporté la technologie d'impression grand format à Madagascar par le biais de sa société d'impression numérique et de gestion de panneaux publicitaires Injet.
Vers une décennie de crise ?
Au début de l'année 2009, le pouvoir peine à gérer la grave crise politique dans laquelle il s'est embourbé. La démission du Président Ravalomanana suite à la pression de la rue, puis la remise du pouvoir à un directoire militaire en seront l'apogée7. Grave faute constitutionnelle, cette démarche a pourtant nourri les détracteurs d'Andry Rajoelina, investi Président de la Haute Autorité de la transition de la République de Madagascar peu de temps après par les militaires qui refusent le pouvoir. Certains dénonceront un putsch organisé et le nouveau gouvernement peinera à affirmer sa légitimité sur la scène internationale.
Bien que l'on puisse discuter du bilan de Rajoelina a la tête de l’État malgache, on ne peut oublier qu'il a respecté son engagement quant à la tenue d'élections et au soutien d'une réelle alternance avec la clause du « ni ni », dont témoignent les premières élections démocratiques et pacifiques en 2013. Andry Rajoelina a également entrepris une série d'importants travaux publics, qui ont été malheureusement boycottés par le pouvoir, laissant l'héritage de Andry Rajoelina surtout inscrit dans les mémoires.
Depuis 2013, la situation n'a cessée de se détériorer, et on-ne-sait lequel des trois Présidents a le plus marqué ce début de XXIème siècle à Madagascar. Tous ont eu leur chance, mais seul Andry Rajoelina, malgré son âge et son peu d'expérience, a su maintenir le pays sans l'aide internationale et paraît le plus sincère et engagé pour mener le pays vers plus de démocratie et de transparence.
Ce qui est certain, c'est qu'il faudra à la délégation malagasie faire preuve d'imagination et de bonne volonté devant les experts internationaux des Nations Unies pour défendre un bilan quasiment nul en matière de droits de l'homme. Alors que Madagascar reste l'un des pays les moins développés du monde, l'absence de politique volontariste est déplorable et la corruption gangrène toujours les institutions. Mais nous pouvons, néanmoins, retenir les mots du Père Pedro Opeka se souvenant des premières maisons construite sur une décharge par son association Akamasoa : «De cette montagne de déchets, nous en avons fait une oasis d'espérance».
1« Madagascar revers the human rights downward spiral » 10 juillet 2017 En ligne: https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/07/madagascar-reverse-the-human-rights-downward-spiral/
2« L'Affaire Claudine Razaimamonjy devient une affaire d'Etat » dans Madagascar Tribune 7 avril 2017 http://www.madagascar-tribune.com/L-affaire-Claudine-Razaimamonjy,22954.html
3« Le TIM interdit de manifester » Madagascar Tribune le 4 juillet 2017 En ligne:http://www.madagascar-tribune.com/Le-TIM-interdit-de-manifester,23097.html
4« Madagascar revers the human rights downward spiral » 10 juillet 2017 En ligne: https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/07/madagascar-reverse-the-human-rights-downward-spiral/
5 « Marc Ravalomanana prend la fuite après avoir remis sa démission transformée en coup d'état » 17 mars 2012 Madagate http://www.madagate.org/politique-madagascar/dossier/2308-marc-ravalomanana-17-mars-fuite-apres-demission-transformee-en-coup-detat.html
6« L'Affaire Daewoo alimente la colère contre le gouvernement » Jeune Afrique/ AFP 10 février 2009 http://www.jeuneafrique.com/161761/societe/l-affaire-daewoo-alimente-la-col-re-contre-le-gouvernement/
Guillaume LAFARGUE
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