La cérémonie de présentation de l’Initiative pour l’Emergence de Madagascar (IEM) fondée par Andry Rajoelina, ancien président de la transition, a eu lieu au Petit Palais ou Musée des Beaux-Arts de Paris, le vendredi 26 janvier 2018. Alors que beaucoup de politiciens s’attendaient à une énième réunion de Malgaches convoqués par des «vazaha» (étrangers), ce fut tout le contraire, bien au… contraire. En effet, Andry Rajoelina a réussi le tour de force d’inviter des «vazaha» de divers horizons -pas seulement des Français- formant un panel de compétences également diverses et diversifiées. Ce, dans les domaines financier, économique, technique, social et politique.
Parmi les interventions, toutes aussi captivantes, réalistes -et, surtout, réalisables à court terme-, les unes que les autres, deux sont à retenir, qui méritent d’être consignées noir sur blanc, car les écrits restent. Pourquoi? Tout simplement parce qu’elles ne reposent sur aucun intérêt partisan, voir fanatique envers une personne, quoi qu’elle ait fait (ou pas fait), mais parce qu’elles viennent du cœur, d’une part et d’une longue expérience de la Grande île et de ses dirigeants successifs, d’autre part. En regard du monologue de plus d’une heure du filoha Hery (le 25 janvier 2018 à Iavoloha, à propos d’une très lointaine vision 2030), ces déclarations venant de deux personnalités politiques de générations différentes vous feront comprendre pourquoi, ailleurs, les pays avancent. Ou, dans une autre formulation, pourquoi Madagascar régresse au fil des décennies.
En fait, nombre de décideurs malgaches (politiciens, membres de la société civile, des forces de l’ordre; techniciens de tous les domaines et même journalistes) raisonnent en fonction de leur conviction du moment, instaurant périodiquement le club des «saikazan’ny mpandresy» (amis des vainqueurs) dans lequel les amis d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui. Moyennant finances, hélas. La pratique même de la pauvreté intellectuelle plus que de la malhonnêteté du même nom. Mais, parfois, ce raisonnement est tout simplement guidé par une jalousie morbide qui fait plus de dégâts dans les esprits qu’un cataclysme naturel sur la côte Est.
Et c’est ici qu’il faut placer la phrase de Nicolas Sarkozy (prononcée à la Mutualité de Paris en février 2007) plagiée à mort -vraiment mot pour mot sauf un- par le candidat Hery Rajaonarimampianina, lors de son investiture, le 25 janvier 2014: « Je demande à mes amis qui m'ont accompagné jusqu'ici de me laisser libre, libre d'aller vers les autres, vers celui qui n'a jamais été mon ami, qui n'a jamais appartenu à notre camp, à notre famille politique qui parfois nous a combattu. Parce que lorsqu'il s'agit de Madagascar (Sarkozy avait dit France), il n'y a plus de camp ». Les convictions d’un autre jamais mises en application en quatre ans d’exercice du pouvoir. C’est normal, diriez-vous.
En passant, énormément de personnes de tous les horizons et de toutes les tendances, ont fait la remarque suivante, après la piètre prestation pathétiquement clownesque du Hery vaovao: il aurait du faire cela en 2014. A présent, c’est déjà trop tard pour lui.
Revenons à nos deux orateurs.
Les deux personnalités dont il est question sont des Français. Il s’agit de David Douillet et de Jean-François Mancel. Le premier, né en 1969, est un grand judoka (1,96 m et quintuple champion du monde) devenu homme politique. Le second, né en 1948, administrateur civil de la fonction publique, est un homme politique. Tous les deux sont des républicains au service de leur pays et non de leurs intérêts personnels. De générations différentes, leur vision sur l’émergence de Madagascar se complète indéniablement.
David Douillet
« Le plus important, c’est d’avoir eu une chance incroyable d’être né dans un pays comme celui-là , comme la France. J’ai pu grandir sur les ailes protectrices de sa république. Vous connaissez tous l’Histoire de France, ce n’est pas venu comme çà , d’un clin d’œil, c’est venu grâce à de grands hommes (…) comme Charles de Gaulle, entre autres. Je pense que tout est une histoire d’énergie en réalité. L’énergie, vous en avez parlé. L’énergie, c’est la source de tout; la plus importante c’est celle des hommes. Pour avoir parcouru, comme vous, le monde entier, avoir vécu 30, 40 ans d’histoires à travers différents régimes, à travers différentes situations, en tant qu’athlète, j’ai pu comprendre que tout ne résidait que dans l’humain. Exclusivement dans l’humain. C’est la seule vraie richesse qui vaille en réalité.
Mais l’humain peut être en grande difficulté. C’est ce que vous avez dit (Ndlr: à l’adresse d’Andry Rajoelina). Pour çà , il faut qu’il rêve. Pour qu’il rêve, évidemment, il faut qu’il mange à sa faim ; qu’il boive à sa soif et çà ce sera tout votre talent, tout ce que vous avez dit pour apporter une première pierre à l’édifice. Mais le rêve que vous allez leur donner, à travers ces réflexions, à travers votre initiative, çà sera le rêve qu’aura eu la population française après la guerre, à travers un homme que vous devrez être, que vous devez incarner. Et, en réalité, vous allez devenir un créateur d’énergie, à travers chaque personne de votre pays, avec une fierté, avec une vraie envie. Grâce à çà ils vont vouloir s’éduquer; ils vont vouloir comprendre; ils vont vouloir apprendre; ils vont vouloir servir ce pays. Et çà , c’est la chose la plus importante à faire comprendre à des individus qui peuvent gagner ensemble grâce à leur jeunesse, grâce à leur talent et grâce à leur énergie que vous aurez su faire émerger à travers ce que vous allez leur dire.
Donc, ce que je vous souhaite, très sincèrement, et je le ressens, j’ai rien préparé, hein, je vous parle avec mon cœur, je pense que vous l’avez compris, vous avez çà en vous, je sais que vous êtes papa de trois enfants, et que vous devez devenir le père de cette nation. Vous en avez la volonté, elle en a les richesses et, si je peux vous aider, on le fera avec toute ma modestie. Merci, Monsieur ».
Jean-François Mancel
« (…) J’ai eu la chance, depuis 30 ans maintenant, d’avoir connu et aimé Madagascar. Pendant les 20 ans où je présidais le Conseil général de l’Oise, j’ai initié et mené à bien certains nombres d’opérations de coopération à Madagascar et puis, dans les 15 dernières années, comme rapporteur du budget du ministère des Affaires étrangères puis de l’aide au développement à la commission des finances de l’Assemblée nationale, j’ai pu continuer de suivre Madagascar et d’essayer d’apporter, chaque fois que c’était possible, le soutien de la France.
J’ai pu aussi mesurer pendant toute cette période l’extraordinaire potentiel de Madagascar. Le potentiel naturel mais aussi un potentiel humain. Hélas, j’ai pu constater à quel point un mauvais pouvoir politique et de mauvais pouvoir politiques qui se succèdent, peuvent conduire à détruire, progressivement mais terriblement, l’extraordinaire potentiel naturel et le potentiel humain qui constitue Madagascar. En 2009, la ferveur populaire a provoqué une véritable révolution pacifique. Les Malgaches ont eu vraiment envie de changer parce qu’ils avaient trouvé en un homme celui qui leur redonnait confiance, et avec lequel ils avaient envie d’accomplir le chemin du redressement. Je suis allé voir le président Rajoelina et nous avons longuement parlé et j’ai découvert un homme qui était d’abord profondément passionné par son pays. Il avait véritablement Madagascar au plus fort de son cœur. J’ai découvert également un homme courageux, compétent et volontaire. Et pendant toute cette période qui s’est déroulé de 2009 à 2014 -et c’était bien d’en avoir reparlé tout à l’heure-, il a fait énormément de choses pour Madagascar qui n’avaient jamais été faites auparavant. Alors que dans cette période -et là vous pouvez un peu battre notre coulpe (Ndlr: la locution bien française, dans la pratique médiévale des moines, «battre sa coulpe», signifie: Frapper sa poitrine en disant «mea culpa» et, au sens figuré: manifester son repentir d'une faute, «culpa» en latin)-, la communauté internationale ne lui a pas facilité la tâche. A la fois en évoquant des principes désuets qui ne reposaient absolument pas sur la réalité malgache mais également avec des sous-jacents qui étaient des intérêts politiques, économiques, diplomatiques qui n’avaient rien à voir avec l’intérêt de Madagascar mais qui, évidemment, collaient un peu plus avec les pays qui tenaient en mains cette communauté internationale. Hélas, sous la pression de la communauté internationale, il a été obligé de se retirer en 2014. Et là on a vu : on a vu le pire !
On n’avait pas encore vu le pire finalement à Madagascar, mais là on a vu le pire, c’est-à -dire un régime politique qui a quasi totalement détruit ce qui pouvait encore rester à Madagascar : la corruption, l’échec économique total, la désorganisation sociale, hélas et çà c’est le plus dur à supporter pour nous qui aimons Madagascar: la misère qui, aujourd’hui, caractérise la situation de la quasi-totalité des Malgaches. Voilà la raison pour laquelle il est temps de se réveiller. Et j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les 4 années passées par notre ami Andry Rajoelina dans sa réflexion, dans le travail qu’il a accompli en toute sérénité, avec toutes celles et tous ceux qu’il pouvait rencontrer, pour se préparer à la date où nous sommes, en quelque sorte, qui a vu commencer son périple à Madagascar, il y a peu de temps et qu’il poursuit ici avant d’aller rencontrer bien d’autres interlocuteurs à travers le monde. Il est capable. Il est le seul capable, aujourd’hui, de redonner espérance au peuple malgache et à Madagascar. C’est la seule chose que j’étais venu vous dire, que j’étais venu lui dire, et c’est la raison pour laquelle je suis à ses côtés ».
Après ce lancement dans la capitale française, une présentation plus solennelle de cette IEM aura lieu dans la capitale malgache, qui sera suivie de «roadshows» en Amérique du Nord et Latine, en Asie et dans les Emirats arabes unis. Le souci actuel du régime actuel est le suivant: comment réussir à empêcher la tenue de cette présentation à Antananarivo? Il faut donc s’attendre à tout… Et au pire, bien entendu. Rolly Mercia a été rappelé en tant que ministre de la communication justement pour cela. Il faut bien qu’il serve à quelque chose, n’est-ce pas? Souhaitons seulement que son salaire de Judas sera à la hauteur des attentes des palais présidentiels. Sinon, traître un jour, traître toujours. Attention au retour du bâton. Il a plein de dossiers, semble-t-il…
Jeannot Ramambazafy - Article également publié dans La Gazette de la Grande île du mercredi 31 janvier 2018