Dans une page entière de ce nouveau quotidien qui a été présenté en grandes pompes à l’hôtel Colbert, le 11 mars 2016, un dossier est intitulé: « La tradition ne se perd pas ». Avec un point d’exclamation. La venue d’un nouveau journal, dans des pays comme Madagascar, se traduit, a priori, par plus de liberté d’expression et de presse, plus de démocratie. Mais lorsqu’on connaît l’histoire politique de Madagascar comme je la connais et comme je l’ai vécu, il y a un gouffre entre théâtre et réalités.
La tradition qui ne se perd effectivement pas, c’est cette démarche quasi-constante de tout pouvoir en danger, mais se sentant invulnérable, de se créer des supports médiatiques pour faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur du monde. Quelle est la ligne éditoriale de ce journal « Le Citoyen »? C’est INFORMER SANS DEFORMER. Alors là je me déforme littéralement de rire. Surtout lorsque l’ami Johary Rakotonirina affirme que ce journal n’est pas le journal du pouvoir. Je vais vous parler de la vérité sans aucune déformation et à vous de voir.
Johary, je le connais depuis la fin des années 1960. Nous étions dans la même classe au lycée Gallieni, le fameux bahut, il y a exactement 50 ans. C’est dire que nous avons le même état d’esprit, la même éducation de droiture et d’honnêteté. Mais nous nous sommes perdus de vue, et devenu adulte il avait déjà -aussi- opté pour le journalisme. A l’époque de Didier Ratsiraka, les ordinateurs et Internet n’existaient pas. Il était difficile d’archiver numériquement des documents comme maintenant.
JDM ou la mémoire courte
Or, dans le fameux contexte de tradition qui ne se perd pas, figurez-vous que du temps de l’Arema, débuts des années 1990, à l’approche du « libéralisme », le même Johary Rakotonirina était le directeur de publication du quotidien « Journal de Madagascar » (JDM) dont le siège se situait au village des Jeux, à Ankorondrano, là même où est actuellement implanté l’agence Media Consulting créé par Jaobarison Randrianarivony. Mais cela entre dans l’ironie du sort. En parlant de Jaobarison, il a été le metteur en scène du lancement du quotidien « La Vérité » qui existe encore et toujours. C'était au "Toit de Tana" du Carlton, le 15 mai 2005. J’avais réalisé le film de présentation pour Media Consulting. A l‘époque, il n’avait pas encore vendu son âme au diable… C’est malheureux comme le pouvoir corrompt même les hommes qui se disaient très pieux.
La couleur des locaux, c'est donc du bleu "neutre indépendant"? Tssss
Autre ironie du sort, JDM avait la même couleur que celle de l’actuel parti présidentiel Hvm. C’est-à -dire bleu. Le grand « mécène » de JDM était feu Carl Gustav Bertil Akesson, consul de Malte à Madagascar. Je ne dis pas du mal d’une personne décédée mais même l’Amiral Didier Ratsiraka ne pourra jamais me contredire. C’était le même genre de théâtre que celui du Colbert, le 11 mars 2016; les mêmes mots, la même conviction. Mais JDM n’a duré que le temps qu’a duré le pouvoir Arema/Ratsiraka première partie. Contrairement aux apparences, les journalistes étaient payés au lance-pierres. Seulement avec la mentalité qui persiste de nos jours, de l’extérieur, tout était normal. Tous râlaient mais tous subissaient…A son retour aux affaires, après une première traversée du désert en région parisienne, l'Amiral Ratsiraka n'a plus renouvelé cette expérience très négative pour le monde journalistique malgache. Et voilà que le régime Hvm remet le même plat pourri -mais enrobé d'artifices artificiels-, avec de nouveaux Akesson plus motivés par leurs intérêts personnels (marchés publics, par exemple) que ceux du vrai citoyen malgache.
Johary (premier couple à gauche), lors du déjeuner dansant du 28 août 2015 à l'Espace Dera. Ce, dans le cadre des 20 ans du CJD
Par la suite, Johary a bien publié un journal en malgache -j’ai vraiment oublié le nom long malgache écrit en caractères gothiques, il vous le dira-, mais il n’a pas fait long feu non plus. Un vrai journal papier indépendant, sans nerf de la guerre, çà passe avec maints sacrifices ou çà casse définitivement. Puis, Johary a disparu du circuit journalistique, pour réapparaître lors de la célébration des 20 ans du Club des Journalistes Doyens (CJD), en 2015. Retrouvailles, on a discuté… Concernant « Le Citoyen », on verra qui sera le plus dupe dans quelques mois. Pour l’heure, c’est l’euphorie du « grand format », des sous en voici en voilà , et de la protection présidentielle assurée.
A propos du rédacteur en chef, Andry Razah, sachez qu’il a été journaliste à Madagascar Tribune, fin années 1980-début 1990, du temps où Jaobarison (décidément) était y journaliste économique avant de se lancer comme un grand dans l'aventure d'"Univers Auto" et Media Consulting. Y parler politique était tabou. Bon, passons. Andry Razah a été viré de Tribune. Je répète: viré! Je ne vous dirais pas pourquoi, ici, mais allez demander aux confrères de l’époque comme Franck Raharison ou encore James Ramarosaona, Rahaga Ramaholimihaso étant décédé. L’an dernier, on s’était croisé du côté d’Ambohidahy, et Andry Razah avait définitivement fait une croix sur le journalisme. L’âge pesant, pourtant, il était difficile de cracher sur de l’argent semblant intarissable.
Que le président de l’Ordre des journalistes de Madagascar (OJM), Gérard Rakotonirina (rien à voir avec Johary, ce nom c’est comme Dupont en France ou Rakoto à Madagascar), ne me prenne pas pour un imbécile. En effet, dans son discours en malgache, il a osé dire: « Be dia be rahateo ny tanora mitsofoka amin’ity sehatr’asa ity ankehitriny, dia inoana fa hitondra ny fahaiza-manaony sy izay mba mety hevereny hanatsarana izany tontolon’ny asa fanaovan-gazety eto Madagasikara izany ireny tanora ireny fa tsy ho tsindrin’ireo zokiny lava mandrakariva izay tratry ny « has been » hoy indraindray ny sasany ».
Traduction littérale: Beaucoup de jeunes pénètrent dans ce domaine de travail actuellement. Espérons qu’ils apporteront leur savoir-faire et leur vision pour améliorer encore plus le monde du journalisme à Madagascar mais qu’ils ne se laisseront pas toujours influencer par les vétérans qui ont attrapé le « has been » comme certains le disent parfois.
Donc, pour Gérard, le « Has been » est une sorte de virus. La traduction de cette expression anglaise est: avoir été. Qui est synonyme de « looser » ou perdant. Au lieu de dire n’importe quoi et d’insulter mon intelligence, l’ami Gérard devrait se rendre à l’évidence que le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal « Le Citoyen » sont des « has been » qui viennent donc de rebondir. Mais leur passé les rattrapera toujours. Ce n’est qu’une question de temps. Le temps d’amasser ce qu’il y a à ramasser pour finir leur passage terrestre en beauté. Mais ils doivent savoir que l’argent ne fait jamais le bonheur trop longtemps…
Pour ce qui est du ministre de tutelle, Vonison Andrianjato Razafindambo, c’est simple: je n’accorde que peu d’importance à ce genre de personnage qui se croit infaillible, indispensable mais qui, au premier coup de vent, disparaisse sans laisser de traces. A Soavinandriana Itasy, de préférence. Ecoutez son discours en français et rendez-vous à dans quelque mois… ICI son dernier fait d'armes avec son alter ego Nivoharivony Ratiaryson
L'émission "Ady gasy" sur la Tvm (couvrant l'ensemble du territoire). Animée par le ministre de la Communication en personne et son directeur de cabinet, avec comme fond uni -et unique-, la couleur du parti présidentiel. Des monologues de 10 à 15 minutes narrant des souvenirs vécus (Culte de la personnalité par excellence).
Pour l’heure, il met au goût du jour la stalinisation à la Tvm (ICI), avec son directeur de Cabinet, Nivo Ratiarison. Ils n’informent plus, ils font de la propagande pure et simple. Mais ce n'est pas en cirant les pompes de l'actuel président et en diabolisant le président de la dernière transition à Madagascar, qu'ils parviendront à faire remonter leur cote de popularité. L'effet est tout à fait contraire. C'est simple: les gens ont envie de vomir rien qu'en les voyant. C'est devenu épidermique mais ils s'en foutent, ils sont au pouvoir. Pour l'instant.
Enfin, en ce qui concerne les nouveaux Akesson, les amis des vainqueurs, « sakaizan’ny mpandresy », ils sont sur les photos ci-après. Qu’est-ce que le pouvoir de l’argent ne permet pas, hein? Car l’ami Johary a annoncé la parution d’un autre journal entièrement en langue malgache; d’une radio ainsi que d’une télévision. Ce n’est pas un scoop, c’est une logique déjà pratiquée ici et même ailleurs, car pourquoi s’arrêter en si bon chemin, ce n’est pas l’argent qui manque. Cependant, au final, tous auront le temps de comprendre que tout ne s’achète pas ici-bas. Surtout pas la mort.
Lucky Luke, hein?
J’allais oublier: lors de son discours en français, Johary avait déclaré que: « Le Citoyen », comme l’apostolat de Lucky Luke, est toujours indépendant mais jamais neutre ». Il faut cesser de prendre les Malgaches pour des canards sauvages les gars !
C'est pas très pro, Mister Compureweb...
Il n’y a pas de hasard sur terre. « Le Citoyen » appartient au groupe CNC (Communication Network Corporation) sorti de terre par la magie de l’opportunité. Alors dites-moi de qui dépend le jeune homme ci-dessus, à la fois consultant à la présidence de la république de Madagascar et coordinateur général de CNC. Faites vos petits trucs de cachotiers professionnels mais sachez que tout se sait de nos jours. Même le nom des nouveaux Akesson. Quant à l'imprimerie, c'est... X. Réellement.
Le saviez-vous aussi? Troisième ironie du sort. Après son retrait, Johary Rakotonirina était volontaire de la Croix-Rouge Malagasy et avait eu le temps de rédiger un ouvrage qui a été présenté en juin 2001. Le titre va lui retomber au visage: « Madagasikara, ho aiza marina? » ou Madagascar, pour aller où vraiment (Editions TPFLM - Trano Printin'ny Fiangonana Loteranina Malagasy). Johary y développe les quatre grands à travers l'antithèse de «la pauvreté populaire et la richesse du pays» dans laquelle il dissèque le monde politique, les opérateurs économiques et les élites malgaches. On verra jusqu’où ira les limites de son «indépendance», en émargeant à la présidence de la république actuelle. Mais il a raison: journaliste, un vrai, n’est jamais neutre! Il est à 51% dans l’opposition d’idée envers les dirigeants (passés, présents et à venir). Merci à Latimer Rangers pour cette leçon. Un Latimer qui a été interdit d’antenne à la Rnm, onze bonnes années durant, sous Didier Ratsiraka.
Avec 38cm de largeur pour 55 cm de hauteur, effectivement, "Le Citoyen", 16 pages, est, dès lors, le plus grand journal de Madagascar. Un format tabloïd adopté chez les Anglophones. Cela démontre une folie des grandeurs certaine, loin des réalités malgaches. Qui dit que ce sera le plus lu? Il y aura d'abord la curiosité puis l'abandon total de ce "gazetim-bazaha".
La majorité des Malgaches n'a plus que le luxe de lire les titres dans la rue et en débattre une fois à la maison sur la base de ces sources incomplètes
A croire qu'il n'y a pas eu d'étude du marché auprès du lectorat malgache. J'ai montré "Le Citoyen" aux gens de mon quartier, mais cela a été le rejet. Et puis, combien de Malgaches, actuellement, peuvent se permettre d'acheter un journal parmi la vingtaine de quotidiens qui existent? Amenez-le aussi dans un taxibe et vous verrez. Il y en a qui ne savent vraiment pas faire de leur trop-plein de fric. Vraiment. Un nouveau journal n'a rien de mal en soi, mais c'est le tape-à -l'oeil qui est désespérant dans un océan de toutes les pauvretés réunies (monétaire, intellectuelle, spirituelle, infrastructurelle). En tout cas, le papier du journal fera le bonheur des tailleurs -bien qu'en perte de vitesse face à la déferlante chinoise- pour faire les "patrons" des vêtements à confectionner
Quoi qu’il en soit, malgré ces vérités que je viens de lancer bien en face -je ne suis pas journaliste pour faire dans la complaisance, sous prétexte qu’on est amis, qu’on se connaît-, souhaitons la bienvenue au… citoyen Hvm de passage. Car les apparences de liberté de presse à Madagascar -vis-à -vis de la Communauté internationale surtout- sont sauves… Pour le néophyte, of course. Ces gars-là oublient que l'on vit au siècle de l'information en temps réel et des technologie nouvelles de l'information. Rien ne peut plus être "déformé". Bof, on verra si ce citoyen Hvm résistera et survivra comme madagate.org durant 15 ans. J’ai déjà des doutes.
La neutralité n'existe pas dans le vrai journalisme. La majorité de ces grandes figures qui trônent dans le numéro zéro de "Le Citoyen", ont été jetés en prison pour avoir osé critiquer le pouvoir en place avec trop "d'indépendance" et même pour avoir eu des idées d'indépendance tout court... Jeunes collègues de ce nouveau journal, un seul conseil, d'un journaliste qui ne sera un "has been" que dans sa tombe: usez de la clause de conscience lorsque le moment viendra. Car il viendra toujours.
Jeannot Ramambazafy
Photos : Harilala Randrianarison, Haja Randria