Certes, nous savons tous pertinemment que nous mourrons un jour ou l’autre. Mais tout de même, lorsqu’on apprend que Jean Emilien nous a quittés brusquement ce matin du 05 avril 2017, à 4h30, victime d’un arrêt du cœur, on n’en revient pas beaucoup.
Titre obtenu le 26 octobre 1991
Faut-il encore présenter mon ami Jean Emilien Rakotonandrasana alias Jean Emilien tout court ? Il vous suffit de surfer sur la toile pour tout connaître sur cet homme-orchestre hors du commun qui, sous une modestie teintée d’humour jovial, cache des talents qui, eux hélas, ne sont toujours pas reconnus à leur juste valeur. Tant pis.
En 1999, il a tout de même fait l’objet d’un film de 6 minutes, intitulé «Jean Emilien Rakotonandrasana ou La Musique qui m’a sauvé la vie », produit par Nada Rda. Champion de l’harmonica mais aussi de kabôsa en open tuning dans le volet Horija du pays Betsileo, Jean Emilien est, en fait, un grand humaniste et un grand croyant.
Que va laisser Jean Emilien à la postérité? Ci-après quelques éléments d’immortalisation.
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En guise d’hommage, l’article que j’ai rédigé il y a 9 ans déjà. Malheureusement les photos l’ayant accompagné ont disparues suite à une fausse manœuvre du webmaster de l’époque dont je tairais le nom…
Du 23 au 29 juin 2008, Jean Emilien se trouvait à Tripoli, capitale de la Grande Jamahiriya arabe lybienne du Guide Mouammar El Kadhafi. Un pays de 1.759.540 km² et qui compte 5.900.754 habitants. Mais ce n’est pas la Lybie qui l’a invité mais SEM Razafindrandriatsimaniry Dieudonné Marie Michel, Ambassadeur de Madagascar en terre lybienne. En fait, il s’agit d’une pratique assez récente de la part des représentants diplomatiques malgaches à l’étranger consistant à faire venir des artistes de la mère patrie lors de grandes occasions. Pour le 26 juin à l’Ambassade de Paris, par exemple, ce furent Luke et Mahery et à l’Unesco, Irène Rabenoro a fait venir Olombelo Ricky. Pour en revenir à la Lybie, l’an dernier, l’ambassadeur malgache avait fait venir à la Résidence de Madagascar Hanta Gasy et Sah Marlin. Cette année, il a fait appel à Jean Emilien que j’ai rencontré le samedi 5 juillet 2008. Conversation dans le beau jardin public en face du stade municipal de Mahamasina.
« Le matin du 26 juin, nous avons procédé à la levée du drapeau en entonnant l’hymne national malgache. La célébration du 48ème anniversaire de l’indépendance débuta vraiment vers 20h30. Près d’une centaine de diplomates étaient présents. Ceux qui n’ont pas pu venir avaient apporté des bouquets de fleurs le matin. Durant le cocktail de bienvenue, un écran géant projetait des séquences sur la Grande Île. Des articles souvenirs ont été distribués à l’entrée, comme des porte-clés en bois précieux et des sahafa… Puis, le dîner spectacle commença, sur une sonorisation lybienne et un batteur congolais ». Ce fut un Burkinabe, Adama, qui fit office d’animateur traducteur en trois langues: anglais, français et arabe. « L’ambassade de Madagascar vous présente, Jean Emilien, le champion du monde d’harmonica en 1991! ». Ainsi donc, ce fut un 26 juin un peu comme les autres, fêté dans toutes les capitales du monde. Seulement, l’unique Jean Emilien a fait mieux et surtout dans un pays islamique qui a fait découvrir un côté ouvert, tolérant. En effet, le 28 juin 2008, une messe avec une lithurgie commune a été célébrée en la cathédrale Chiesa San Francisco de Tripoli, sous la conduite de FR. Giovanni Martinelli O.F.M., Bishop of Tripoli-Libia. Une démarche assez hors du commun, il faut bien l’admettre. Un choriste congolais de l’église protestante de Tripoli a appuyé Jean Emilien l’instrumentiste. «Tena tao tokoa ny Nofo sy ny Fanahy maha-olona», a résumé notre homme-orchestre, très sentencieux (traduction : ce fut vraiment un moment de recueillement alliant vraiment la chair et l’esprit qui font que l’homme est Homme).
Les albums de Jean Emilien
« Hey Madagascar », « Ezaka », « Miandraza » Chez Cobalt, distribué par Melody, Paris France
A Paris, fin 1989, Jean Emilien enregistre en une nuit son premier album « Hey Madagascar » qui mêle le séga, musique phare de l’Océan Indien (Maurice, Réunion…), à divers rythmes de l’île, néanmoins l’arrangement fait en son absence ne le satisfait pas. Au concours Hohner 1991 d’harmonica à Détroit (USA), il obtient la médaille d’or et le diplôme de Champion du Monde d’Harmonica : son style plonge aux racines du blues et le fait comparer aux Etats-Unis, à Robert Johnson, le père du blues et la référence de John Lee Hooker et d’Eric Clapton. Après une tournée américaine dans les années 1990, il assure les premières parties de Bernard Lavilliers, Charlélie Couture, Carlos Santana... Ses textes évoquent la forêt menacée, le massacre des lémuriens et les valeurs familiales. En 1997, Jean Emilien sort son second album, « Ezaka », suivi un an plus tard de « Miandraza »…
BIO ET PARCOURS DE JEAN EMILIEN RAKOTONANDRASANA
Auteur, compositeur, chanteur, guitariste et joueur de kabosy (guitare malgache), Jean Emilien se distingue par son jeu étonnant d’harmonica qui lui a valu d’être comparé à Robert Johnson, le père du blues et référence de John Lee Hooker et d’Eric Clapton. En 1991, cet artiste né en septembre 1963 à Ambositra dans la province de Fianarantsoa, au sud des hauts plateaux de Madagascar, a obtenu le Prix Hohner (médaille d’or) à Detroit aux Etats Unis...
Vako-drazana
Jean Emilien est remarqué à cinq ans dans un concours de chants d’écoliers par le chef de canton qui lui donne la pièce en douce pour qu’il continue à vocaliser. Mais sa première initiation de Jean Emilien lui vient de son grand-père, enterré avec son “jejy vaotavo” (mandoline). Mélomane forcené, Jean Emilien se passionne pour le kabosy qu’il joue en gardant les zébus pendant les vacances et découvre l’harmonica avec François, un musicien qui accompagne les élèves de son père en jouant des airs du folklore malgache. Après une incursion dans la musique occidentale et le reggae, Jean Emilien se plonge dans le patrimoine national, s’intéressant notamment au “vako-drazana”, chant des ancêtres, et au “rija”, un style de sa région. Son goût immodéré de la musique contrarie son père qui lui brise à dix-sept ans son kabosy sur la tête, provoquant sa fuite et sa vocation.
Le succès au Kanto
Un jour de 1982, un chauffeur de taxi-brousse, séduit par sa musique, l’emmène à Antananarivo pour qu’il enregistre à la Radio Nationale. Ses chansons sont immédiatement utilisées comme indicatifs d’émission et Jean Emilien se produit dans les grands hôtels de la capitale, les concerts et les bals. “Lors de mon premier grand concert à Tana, j’étais tellement intimidé que je n’ai pas osé chanter. J’ai joué seulement de l’harmonica et du kabosy puis soudain, j’ai reçu quelque chose sur la tête et j’ai cru que des ennemis m’attaquaient, mais j’ai réalisé que c’étaient les pièces enveloppées dans les billets de banque que le public me lançaient”.
Jean Emilien se voit réellement consacré au niveau national en 1983, dans la salle de l’ex-cinéma Kanto, lorsque le public lui lance des pièces enveloppées de billets, signe dans l’île de respect et d’estime. Son approche très inventive des styles de la Grande Ile, la structure de ses chants, sa voix très spéciale (nasale et aiguë) ainsi que ses dialogues entre un harmonica jouant à la fois mélodie et rythme (parfois syncopé, parfois glissant à la manière du blues) et un kabosy répondant par une ligne de basse (il a rajouté une corde de basse à l’instrument) laisse le public sans voix.
Lors de TEDxTana 2010 à Antananarivo Madagascar, Jean Émilien a incité le public à l’aider à participer au reboisement de Madagascar. Cette responsabilité environnementale est louable car dans la Grande île, les artistes musicaux influencent la société. Cette attitude met le public devant sa responsabilité pour sauvegarder la faune et flore malgaches. La culture sur brûlis intensive constitue l’un des dangers immédiats pour la forêt malgache.
Sources : http://www.afrisson.com - https://lamusiquemalgache.blogspot.com
Les souvenirs de notre ami commun, Jean-Claude Vinson: "Je suis Malgache par ma mère, Français par mon père. Né à Madagascar, j'y ai grandi et vécu jusqu'à l'âge de 17 ans. J'ai du -comme beaucoup de Malgaches- quitter la Grande île qui sombrait dans un régime politique marxiste. En France, au début des années 1980, je travaillais comme technicien auprès de stars du rock. J'ai fait venir des artistes français et américains à Madagascar, produit des concerts de musiques, collaboré à la réalisation de compilations de disques sur la musique de Madagascar. Manager international d'un groupe phare du rock français et de l'artiste malgache Jean Emilien dont j'étais le producteur, le tourneur et le manager. Jean Emilien a fait, en 1991, la première partie de Carlos Santana à Paris Bercy (durant 30 minutes), a obtenu le Premier prix et la médaille d'Or mondiale d'harmonica au Etats-Unis en 1991, a fait l'Olympia avec Bernard Lavilliers, l’Olympia avec les Pow-wow, une tournée américaine et européenne etc."
Que dire, qu’écrire de plus? Au nom de l’équipe de madagate.org, je présente à la famille de Jean Emilien, mes plus sincères condoléances. Au revoir l'ami et à dans une autre vie plus meilleure qu'ici-bas.
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Sa dépouille mortelle qui se trouvait en son domicile à Itaosy a été transportée vers la Tranompokonolona Analakely. Puis, le 07 avril, elle a été emmenée vers Ambalavao Tsienimparihy, dans la province de Fianarantsoa, où elle a été inhumée.
Jeannot Ramambazafy – 05 avril 2017