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Madagascar: société de récupération et de rafistolage

Que cela lui plaise ou non, alors que j’ai failli être tué par les FRS devant l’hôtel de ville, le 13 mai 1972, Hery Rajaonarimampanina, fils de pasteur, avait 14 ans et était encore un écolier au village d’Antsofinondry, pas du tout prédestiné pour diriger le pays, car jamais formé pour être politicien. Déjà, gouverner c’est prévoir, tout prévoir et non pas imiter sinon plagier carrément… En voulant prendre une revanche sur on-ne-sait-qui, on-ne-sait-quoi, il entraine déjà Madagascar dans une spirale de situations aussi détestables à vivre qu’anti-démocratiques et inconstitutionnelles. Son rêve le plus fou étant devenu réalité, à l’en rendre fou tout court.

C’est à la veille de mes 53 ans (le 6 août 2007) que j’avais rédigé cet article -hautement culturel car tout est culture- à propos des racines de la mentalité actuelle des « intellectuels » malgaches en général, des dirigeants élus en particulier. Sept ans après, avec Hery Vaovao d’Antsofinondry, cet article est toujours d’actualité. Et l’on comprendra mieux pourquoi Madagascar ira de mal en pis.

CROYANCES

Jusqu’au début du XIXème siècle, le village est le véritable cadre de la vie malgache. Il est toujours fortifié ou construit sur une hauteur entourée de fossés. Les maisons se touchent presque. Au centre, une place pour les diverses cérémonies durant lesquelles on sacrifie des zébus. Les affaires du village sont réglées sur place par le « fokonolona ». Ce mot désigne à la fois la communauté des habitants du village et l’organisme qui les dirige, un conseil où les anciens sont écoutés et leur autorité non discutée. Cette force vient du fait que le village est aussi une famille. On ne se marie pas en dehors, et le plus ancien du village est à la fois le chef et l’aïeul, celui qui peut servir d’intermédiaire entre les vivants et les morts. Les tombeaux ne sont jamais très loin, et parfois même parmi les maisons. Comme les morts peuvent encore se manifester dans le monde des vivants, il convient de les honorer, de bien les disposer, de leur obéir. Le Malgache ne désire pas vivre loin des morts ; il a toujours la crainte de mourir au loin et de ne pas revenir jouir auprès d’eux du repos éternel. La véritable unité du village est faite de ce respect pour des ancêtres communs.

La religion malgache ancienne ne peut être définie par des dogmes. D’abord parce qu’elle peut varier d’un siècle à l’autre ; surtout qu’elle n’est pas limitée à un objet précis, la connaissance de Dieu. Ensuite, elle est aussi une façon de comprendre le monde, les relations entre les hommes, leurs devoirs, leur destin. Tout cela n’a aucun besoin de s’exprimer par des mots. Au contraire, tout effort d’explication, de systématisation, fausse ce qui, dans l’esprit du Malgache, est croyance diffuse. Mais pour être diffuse, voire confuse, cette croyance n’en est pas moins forte ; elle donne un sens aux moindres activités, au monde tout entier, si bien qu’il est impossible de faire une distinction entre le profane et le sacré. Tout est sacré : la nourriture comme la maison ; la riziculture comme les honneurs rendus aux morts. Si l’on voulait comparer la religion malgache à une autre plus connue, ce n’est pas au christianisme qu’il faudrait faire appel mais au paganisme de la Cité antique. Les éléments de cette religion ont deux sources différentes. D’une part, le respect des ancêtres et le culte familial qui a maintenu la société fondée sur la généalogie, telle que les immigrants malayo-polynésiens l’avaient connue autrefois. D’autre part, des pratiques fétichistes et des interdits probablement amenés d’Arabie. Qu’importe cette diversité d’origine puisque le fétichisme n’avait rien de contradictoire avec la religion des ancêtres, ou alors ces contradictions n’ont pas été senties. En tout cas, dans l’esprit malgache il y a unité. Cette capacité de syncrétisme pose d’ailleurs actuellement une question grave : la connaissance scientifique, de même que les religions occidentales ont été introduites à Madagascar par la suite. Elles ne sont peut-être pas aussi incompatibles que nous le pensons avec les croyances anciennes. Il peut y avoir juxtaposition de christianisme, de fétichisme, de matérialisme et de culte des morts chez des hommes qui n’ont pas l’habitude de définir leurs croyances par des dogmes logiques.

Les cérémonies les plus marquantes de la religion malgache sont les enterrements et les changements de linceuls (« Famadihana » que l’on traduit improprement par retournement des morts), dans beaucoup de régions, pendant plusieurs années après le décès. Ces cérémonies affirment l’unité de la famille à travers les années et les générations. De nos jours, le « famadihana » est considéré comme anti-économique, gaspillage de la part des « petites gens ». En matière d’assassinat d’une identité culturelle, on ne fait pas mieux… Dans l’espoir de jouir d’une paix éternelle, le Malgache peut consacrer à la construction d’un tombeau beaucoup plus de temps -et d’argent- qu’à celle de sa maison où il ne vivra que quelques années, somme toute. On pourra alors comprendre pourquoi le Malgache n’est pas ambitieux : une fois sa vie éternelle assurée par un tombeau et des descendants, il n’a rien d’autre à faire que de vivre de la douceur de la vie. Le travail est dur, il est sage de se limiter à l’indispensable. Dans l’homme il faut donc distinguer le corps, qui restera dans le tombeau, et le double qui peut s’en séparer, parfois dès avant la mort (sous l’action d’un sorcier, d’un rêve…) et qui, d’ailleurs, prend plusieurs noms selon qu’on considère telle ou telle de ses activités. Le double des morts a encore sa place dans la maison, la place d’honneur, dans le coin nord-est. Il peut réintégrer momentanément le corps d’un vivant en des phénomènes de possession (« tromba ») ; ou bien habiter une pierre, un arbre, que l’on habillera en signe de vénération. Mais de même que les cendres des morts finissent par se confondre dans le tombeau –et sont alors réunies dans le même linceul-, leurs doubles finissent par se fondre en constituant l’esprit même de la famille, qui aboutit à Dieu le Créateur ou « Andriamanitra Zanahary ». Ce Dieu existe, c’est indéniable, et c’est à lui que l’homme doit la vie. Mais on ne voit guère qu’il agisse encore dans le monde qu’il a créé, ni qu’il ait donné à ses créatures des lois morales. Ce n’est pas lui qu’on invoque et on ne lui fait pas de sacrifices, sauf en certains hauts lieux.

De telles croyances n’ont encouragé ni l’art ni l’artisanat. Mis à part dans les régions du sud profond de la Grande île, le voyageur note l’absence de tout art malgache ancien. En fait, à Madagascar, l’art par excellence c’est l’art de la parole. Ses manifestations, aujourd’hui comme autrefois, sont innombrables : contes, récits, discours en diverses occasions -mariages par exemple- auxquels il convient d’ajouter, de nos jours, les prédications. La littérature malgache est peu développée. D’abord parce que l’usage de l’écriture ne s’est répandu qu’au cours du XIXème siècle, mais aussi parce que l’éloquence malgache se prête mal à l’écriture. Elle est imagination, création perpétuelle et écrire un texte serait la figer, tuer l’inspiration qui l’a fait naître. Un conte malgache n’est pas une tradition que l’on répète de génération en génération, c’est une création toujours nouvelle, et qui doit une partie de son charme du moment, à l’auditoire, qui serait mal adapté ailleurs. Si l’on veut connaître l’art malgache, ce n’est ni dans les bibliothèques, ni dans les musées qu’il faut le chercher mais en écoutant les discours, les « kabary » que l’on déclare encore de nos jours. Même les ambassadeurs européens ne s’en privent pas. Surtout qu’à présent il existe de vraies écoles de « kabary » -comme à l’Alliance française, par exemple- et des ouvrages à ce sujet, sur tous les principaux thèmes de la vie. En cette période révolue, la vie était vraiment un long fleuve tranquille, malgré les guerres de conquêtes mais qui n’avaient pas l’envergure de l’empire romain ou celle de Napoléon Bonaparte. Les Malgaches vivaient dans une indépendance, relative certes, mais indépendance tout de même.

Ces temps d’indépendance ont pris fin en 1895. Je suis certain que cette partie de l’Histoire de Madagascar intéressera nombre de nos visiteurs car les archives de mes recherches ne se trouvent pas ou plus en librairie.

LES MOTIFS DE LA COLONISATION

En Europe, après les guerres de la Révolution et de l’Empire, l’Angleterre reconnaît que Madagascar ne fait pas partie des établissements qui lui ont été cédés par la France au traité de Paris, et ordonne au gouverneur de l’île Maurice de remettre à la France les établissements qu’elle occupait dans la Grande île depuis 1792. Voilà pourquoi Madagascar n’est pas devenue anglophone. Les points ainsi occupés furent l’île de Sainte Marie, Tintingue, Fort Dauphin et Sainte Luce. Silence total sur l’intérieur du pays à ce moment précis. Mais le royaume merina, étendant sa domination sur la côte est, entra dès 1829, en rivalité avec les postes français. Cette rivalité aboutit à l’échec de l’expédition du Capitaine de vaisseau Gourbeyre qui ne put se maintenir à Tamatave. Par la suite, la France ne sut pas avoir une ligne politique ferme à Madagascar, devant la puissance merina qui affirmait sa suzeraineté sur l’ensemble de l’île. Par ailleurs, la France prenait pied sur la côte ouest en établissant son protectorat sur l’île de Nosy Be, malgré les tentatives merina. De même, la France participait, avec l’Angleterre, à l’expédition de 1846 qui ne put préserver la liberté des commerçants européens établis à Tamatave, et François Pierre Guillaume Guizot (ministre de l’instruction publique) proclamait « les droits que la France ne peut ni abandonner ni renier ».

En 1862 et 1868, la France essaie de négocier des traités de commerce qui lui donneraient une position privilégiée Elle se contente alors de soutenir les intérêts de ses nationaux, sans exercer aucune action civilisatrice sur les peuples des côtes qui auraient pu, en bénéficiant de son influence, atteindre un niveau de développement égal à celui des Merina. Plus encore, la France reconnaît aux souverains merina le titre de rois de Madagascar, ce qui était une confirmation de leurs droits sur l’ensemble de l’île. Dans ces conditions, c’est plutôt dans l’histoire intérieure (la politique de Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, partisan zélé de l'expansion coloniale française) et dans celle de l’Europe qu’il faut chercher les causes de l’intervention de la France : c’est l’époque où elle cherche à ne pas mécontenter l’Angleterre, pour avoir le champ libre en Egypte, et ou le Chancelier allemand Otto von Bismarck encourage les tentatives coloniales de la France. Il n’était donc pas étonnant qu’aux yeux des Malgaches ces visées françaises aient paru sans fondement. D’autant plus que Rainilaiarivony, Premier ministre depuis 1865, faisait de grands efforts pour développer son pays et qu’il était impossible de présenter comme mobile de l’intervention française, l’action civilisatrice que l’on y pouvait mener.

Mais comme on ne peut intervenir sans motif, il s’en présenta deux : la succession de Jean Laborde, mort en 1878, et quelques territoires sakalava qui, selon les circonstances, «reconnaissaient soit le protectorat de la France, soit celui de la reine Ranavalona III» (Hubert Deschamps). En 1883, un ultimatum repoussé eut pour conséquence l’occupation de Majunga par la flotte française, puis de Diego Suarez et Vohémar. En 1885, vint un traité très mal conçu pour faire croire aux Français qu’il allait instituer un régime de protectorat alors que Rainilaiarivony espérait ne rien perdre de son autorité. Puis, les sempiternelles querelles avec le résident général Le Myre de Villers ne pouvant se régler que par la force, une seconde expédition est décidée en 1894. Cette seconde expédition était différente de celle de 1846 car, cette fois, il s’agissait de monter jusqu’à Tananarive, et d’y installer une force suffisante pour remplacer, sous son protectorat, l’administration indigène par une administration française. Ce n’est donc pas la flotte (on dit marine de nos jours) mais la troupe qui allait entrer en action. Mais si cette campagne française de 1895 à Madagascar fut meurtrière (près de 6.000 morts), ce fut surtout par manque de préparations et parce que les soldats français furent sans défense contre la dysenterie, le paludisme (dénommé « Jeneraly Tazo ») et la fièvre. Les armées malgaches, malgré quelques instructeurs et du matériel européens ne furent pas à la hauteur. Ce qui amena à une conséquence capitale et néfaste aux Malgaches : les officiers français, formés par leurs traditions à estimer l’ennemi d’après ses qualités militaires, n’eurent que du mépris pour un adversaire qui refusait toujours le combat ouvert et qui, à Tananarive, capitula au second coup de canon (et non pas au premier coup de salve). Or, ce sont ces officiers qui furent chargés, par la suite, d’administrer le pays et tout un peuple vaincu sans se battre.

Le traité du 1er octobre 1895 mettait fin à la guerre et instituait un protectorat. Comme il ne fut pas respecté -mais quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage-, la loi du 6 août 1896 annexait Madagascar à la France. Le 28 février 1898, la reine Ranavalona III était condamnée à partir en exil à Alger. Pour pouvoir se maintenir en place, le pouvoir français devait être très fort. Après l’essai de protectorat de Laroche, le général Gallieni arriva pour être Gouverneur général de Madagascar. Rappelons que Joseph Simon Gallieni est né le 24 avril 1849 et est décédé le 27 mai 1916. Mais sa politique et sa manière de diriger le pays seront omniprésentes de 1897 à 1946, soit un demi-siècle durant; et il en existe toujours des relents indécrottables jusqu'à aujourd'hui. Prix de sa « pacification » du pays : 100.000 vies humaines et l’instauration de la politique du « diviser pour mieux régner » (« zarazarina hanjakana ») qui créa par la suite l’antagonisme désuet et inutile Hauts plateaux/Côtiers. Je ne vais pas m’appesantir sur ces sujets mais vous donner des éléments informatifs plus culturels. La population à Madagascar était de 2.500.000 en 1902 et à plus de 4.000.000 en 1947 dont 53.000 « Vazaha » (Métis, Réunionnais, Chinois, Indiens et Européens). Péjorativement, ce mot « Vazaha » est appliqué à toute personne de peau blanche, tandis que « Vahiny » signifie soit étranger à sa communauté -même malgache-, soit invité, quelle que soit sa provenance. En 60 ans donc, elle a plus que quadruplé puisqu’en cette année 2007, on recense près de 17 millions d’habitants dont la grande majorité est jeune et quelque 30.000 « Vazaha » dont plus de 20.000 Français.

Jetons un coup d’œil sur l’administration d’avant les évènements de 1947. En malgache, le mot « Fanjakana » désigne à la fois le pouvoir, le gouvernement et l’administration. A cette époque, les Malgaches, ne distinguant pas très bien la différence entre ces termes, se comportaient, devant ce « Fanjakana », avec une obéissance respectueuse et confiante. Or, cette administration brillait par son caractère très autoritaire. Du Gouverneur général au Chef de canton indigène, tous les fonctionnaires sont nommés, et ne sont jamais responsables devant leurs administrés. Exception faite des grandes villes où les membres des municipalités étaient élus, sauf le maire. Les fonctionnaires malgaches n’étaient que des employés de bureau et des agents d’exécution. C’est de Gallieni que date cette tradition de l’administration. Il trouvait que, pour maintenir l’ordre, il fallait toujours montrer sa force et retirer aux Malgaches toute possibilité de discuter les ordres (le fameux terme « teny baiko » encore utilisé de nos jours par certains Malgaches toujours pauvres d'esprit). On s’est rendu compte, par la suite, que l’emploi de la force était devenu inutile, l’administration civile s’étant substituée à l’armée qui a presque quitté Madagascar, mais on n’a pas donné plus de pouvoirs aux Malgaches. Il était plus facile de les traiter comme des enfants, de tout décider pour eux et à leur place.

A cette époque, seule la médecine était la voie vers les honneurs, les gains substantiels et un travail intéressant. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir, par la suite, tant de médecins malgaches qui ont joué un rôle important dans la société et l’histoire malgache elle-même. Citons Albert Rakoto Ratsimamanga, Joseph Raseta, Joseph Ravoahangy Andrianavalona, tous médecins et fondateurs du Mdrm (Mouvement démocratique pour la rénovation de Madagascar, bouc émissaire de la tuerie du 29 mars 1947 à la caserne Moramanga), hormis Joseph Rasamimanana, premier médecin malgache (A part Ratsiamamanga, pourquoi se prénommaient-ils tous Joseph ? Mystère et boule de gomme). A cette époque, entre 1897 et 1946 donc, les « Fokonolona », ces organismes locaux où chacun apprenait à s’intéresser aux affaires de son village, ont pratiquement été mis en sommeil, n’ont jamais été consultés ni eu à s’occuper que de loin en loin d’affaires assez secondaires comme le recrutement de porteurs de « filanjana » (chaise à porteur), par exemple. Mais les fonctionnaires malgaches, dans leur ensemble, à défaut de réelles responsabilités et d’intérêt dans leur travail, ont été attachés à leur fonction par un autre intérêt : l’argent, les hauts traitements et toutes les possibilités d’ajouter à ces traitements par les moyens les plus divers. La concussion était monnaie courante du temps malgache. Elle n’a toujours pas disparu, compliquée par des habitudes de politesse qui imposent de faire un cadeau à toute autorité, tout représentant de l’autorité, chaque fois qu’on a affaire à lui. Ainsi, l’attachement des fonctionnaires malgaches pour leur travail n’a que rarement été le dévouement au bien public, mais plutôt l’espoir de s’enrichir. Et ces fonctionnaires n’ont nullement été préparés à fournir à leur pays une élite politique capable de donner des avis.

Je fais un bond en avant de plus de 60 ans et je me projette à l’université de Dakar où le Président Nicolas Sarkozy avait déclaré, le 26 juillet 2007 : « (…) Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail (…) ». Bravo pour le scoop ! Mais plus loin, il a annoncé que « (…) La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution (…) ». Cela me rend perplexe. En effet, le dénominateur commun de toutes ces plaies qui continuent à gangrener l’Afrique n’est-il pas ce laisser-faire des fonctionnaires indigènes autorisés par le colonisateur, à amasser plus d’argent, à acquérir plus de pouvoirs par n’importe quels moyens ?

De nos jours, cela s'appelle, corruption, pot-de-vin, détournement de deniers publics, délit d'initiés, blanchiment d'argent, abus de pouvoir... qui font souvent la Une de tous les journaux, ici et même ailleurs. Au retour des indépendances, la réaction du cheval débridé a été due à cette manière d’administrer à la française. M. Sarkozy ignorait-il encore les réactions d'enfants livrés à eux-mêmes, sans transition aucune ? Qui a parlé de "racaille", face aux jeunes des banlieues parisiennes ? Tous ont une âme de dictateur après avoir longtemps été brimés par les colonisateurs puis par leurs propres compatriotes. Madagascar avait une structure administrative bien avant la colonisation. Il existait le code des 105 puis celui des 305 articles bien avant aussi, qui régulaient très bien la vie en société. L’infantilisation qui perdure encore est le fait du colonisateur, point barre.

Alors je dis que oui !: la France est responsable, car à l’origine de tous ces maux. On n’a jamais demandé pas M. Sarkozy de demander le pardon. D’ailleurs, il a dit qu’il n’était pas venu pour çà -tout le monde ne peut avoir la stature et le courage d’un Jean-Paul II-, mais on se demande encore et toujours pourquoi, à force de déclamer « je ne suis pas venu », il était venu à Dakar, en fait ? Veni, vidi, vici avait dit Jules César. Nicolas (Cé)Zarkozy est venu, n'a rien vu et n'a pas convaincu. Bon, fermons cette parenthèse et parlons d’enseignement à la Gallieni.

ENSEIGNEMENT

L’école, dans le plan de Gallieni, devait être le moyen principal de « franciser » Madagascar. En 1946, l’enseignement public comptait 110.000 élèves et l’enseignement libre 90.000 (50.000 protestants et 40.000 catholiques). Sans parler de 40.000 enfants dans les garderies, espèces d’écoles très élémentaires, qu’un maître sans diplôme pouvait ouvrir là ou rien d’autre n’existait. En plus d’un enseignement européen, réservé aux enfants de citoyens et semblable aux écoles de France, le cycle d’études malgache a des méthodes, des programmes et des examens qui lui sont propres. Les écoles officielles sont réparties en écoles du premier, second et troisième degré. Les écoles libres ont, en général, adopté la même organisation, sauf quelques écoles de villes qui tentent de donner un enseignement secondaire français. Dans leur ensemble, ce sont surtout des écoles de Français, la langue malgache n’y est qu’à peine tolérée (une heure par semaine pour les plus petits !). Ainsi, l’école du premier degré est pour les élèves un total dépaysement. D’accord, ils arrivent à lire mais ils ne prennent absolument pas l’habitude de réfléchir.

Cela aboutit à une sorte de dédoublement de la personnalité : l’élève parvient à répondre en français et à réciter une leçon mais, hors de l’école, il n’a nullement l’idée d’appliquer à la vie courante ce qu’il a appris. L’instituteur non plus, à l’instar de celui qui suivait le livre qu’il avait sous les yeux et demandait à ses élèves, au mois de janvier (en plein été tropical !) de décrire un paysage de neige. Malgré toutes les recommandations, et par la force des choses, toute leçon de connaissances usuelles, d’hygiène, de morale, devient une leçon de français, où l’élève apprend du vocabulaire, mais n’apprend pas à connaître ce qui l’entoure. Il est évident que la préoccupation culturelle n’est pas la tasse de thé de ces écoles : aucune littérature, ni malgache ni française ; pas d’enseignement de l’histoire, la géographie étant réduite à celle de l’île. Que reste-t-il donc à ces élèves qui auront passé 4 ou 5 ans dans une de ces écoles ? Pratiquement rien : n’ayant plus l’occasion de parler ni de lire du français, ils l’oublient très vite. N’ayant pas pris l’habitude de lire ni d’écrire leur propre langue, n’ayant d’ailleurs pas grand-chose à lire, ils oublient même la lecture. En brousse, les journaux n’arrivent guère, les livres encore moins sauf quelques ouvrages religieux à peine feuilletés. L’expérience prouve que beaucoup d’anciens élèves des écoles du premier degré, beaucoup d’anciens bons élèves sont, en fait, dès 20 ou 30 ans, des illettrés.

Les écoles officielles du second degré, ou écoles régionales, sont destinées à fournir des fonctionnaires. Elles comptent à peine mille élèves. On y entre par concours, en s’engageant à un certain nombre d’années de service. C’est dire que rien n’a été fait pour l’instruction du peuple, de tout le peuple, en plus du premier degré. L’examen qui sanctionne ces études du second degré comprend, à l’écrit : orthographe, rédaction, calcul et écriture. On entend ainsi former des fonctionnaires subalternes, des employés de bureau -et encore !-, des employés tels qu’ils pouvaient être utiles au temps de Gallieni. Là encore, rien qui développe l’esprit, rien qui amène à la réflexion, rien qui excite la curiosité, rien qui pousse à la lecture. Les élèves ne connaissent d’autres livres de français que des manuels scolaires et se servent, à 16 ou 18 ans, de ceux que l’on donne en France aux enfants de 12 ans. Ce n’est même pas une initiation à la littérature ou au « génie » de la France. Quant à une vraie instruction secondaire, elle est donnée avec parcimonie. Tananarive a un lycée de garçons (à Andohalo) et un lycée de filles (à Faravohitra), ouverts surtout aux enfants de citoyens. Quelques Malgaches y sont admis et réussissent, parfois, à atteindre le baccalauréat. Mais ce n’est jamais que quelques individus sur 4 millions d’habitants.

A côté de cet enseignement officiel, l’enseignement libre n’a pas toujours pu utiliser des méthodes entièrement différentes. Les écoles des missions religieuses ont fait ce qu’elles ont pu pour sauver la littérature malgache et encourager la littérature régionale. Mais elles avaient à lutter contre les services officiels qui craignaient de voir là un encouragement au nationalisme, et parfois contre les Malgaches eux-mêmes : ils veulent, avant tout, préparer le certificat d’études du second degré (le fameux CESD) qui leur permet de devenir fonctionnaires, et en arrivent à considérer que la connaissance du français est, en elle-même, une valeur sûre et dispense d’aucune autre compétence. Ces écoles de mission ont, cependant, réussi dans une certaine mesure et surtout au second degré. Ayant, en effet, et à ce niveau, beaucoup plus d’élèves que les écoles officielles. Ayant des collèges secondaires (type français) spécialement organisés pour amener des élèves malgaches au niveau du bac, donnant une véritable éducation dans leurs internats, elles ont la plus grande part dans la formation de l’élite malgache. Malgré tous ces efforts, on comprend que les résultats ne soient pas toujours satisfaisants. Les Malgaches ont constaté que l’instruction qu’on leur donnait leur permettait de servir l’administration française, non sans profits personnels pour eux, mais ne permettait nullement à leur pays de s’acheminer vers le retour de son indépendance.

CLASSE OUVRIERE INEXISTANTE ET RACISME PAR SOLIDARITE

Mais il est un domaine particulier où l’enseignement a complètement manqué son but, comme David Trezeguet lors de la coupe du monde de 2006 en Allemagne : c’est la formation d’artisans, d’ouvriers qualifiés ou même de techniciens. Les Malgaches n’ont jamais été attirés par le travail manuel, travail d’esclaves autrefois. Aucune esquisse même de préparation à la mise en place d’une classe ouvrière. Mais il y a aussi des raisons plus profondes à cette carence qui a des impacts néfastes jusqu’en ce début du troisième millénaire où la société malgache est encore une société de récupération, de rafistolage : pour être un ouvrier, pour agir sur les choses, il faut se sentir un pouvoir sur ces choses.

A Madagascar, rien ne se crée mais tout se perd. Par ailleurs, certaines craintes, certain respect pour les forces de la nature, le sentiment que l’homme doit accepter son destin et le monde tel qu’il est -plutôt que d’essayer de le transformer-, prévalent dans l'esprit de la grande majorité des Malgaches. Ainsi, toutes ces croyances anciennes encore vivaces, bien que peu conscientes, ôtent à la majorité des Malgaches la liberté nécessaire, ou en tout cas, le goût d’agir sur les choses et de travailler à les transformer, si peu que ce soit. A cela s’ajoute l’exemple des Européens souvent néfaste : il est bien rare, en effet, à Madagascar, que l’on en voit travailler de leurs mains. Les Malgaches ont surtout l’ambition de travailler comme les Européens, dans des bureaux.

On comprend alors qu’il ne suffit pas de faire fréquenter des ateliers scolaires par quelques centaines d’apprentis pour changer la mentalité de tout un peuple à ce sujet. Les hauts salaires que touchent les incapables, parce qu’ils savent le français, encouragent tous les bons ouvriers à quitter l’atelier ou l’établi pour entrer dans un bureau. Mais toute exception ayant une règle, il est utile de mentionner, ici, une tentative originale : l’Atelier des Arts Appliqués de Tananarive. Il forme quelques artisans et artistes, utilisant ou rénovant de vieilles techniques et des matériaux locaux, pour fabriquer au goût du jour, les objets les plus divers. De nos jours, ce sont les descendants de ceux qui ont fréquenté cet Atelier qui sont aptes à fabriquer des produits artisanaux exportables. Malgré tous ces efforts de se conduire en Européen, les familles malgaches et françaises ne se connaissent pas. Il est exceptionnel que des Malgaches soient invités à un repas chez des Français et inversement. Si les hommes sont forcément amenés à se rencontrer dans des bureaux ou des magasins, ce n’est jamais sur un même pied d’égalité qui permettrait des échanges intellectuels ou amicaux.

Quant à la plupart des femmes françaises, les seuls Malgaches qu’elles connaissent sont leurs domestiques. Les Français, même quand ils ne sont nullement racistes en arrivant, le deviennent rapidement par solidarité avec le milieu où ils sont appelés à vivre, et ce racisme encourage à son tour une série de racismes malgaches : des Malgaches envers les « Vazaha », et des Malgaches entre eux. L’évolution d’une société cloisonnée ne pourra jamais qu’être lente. Voilà donc un vaste aperçu authentique de Madagascar avant la colonisation, jusqu’à la veille des évènements de 1947.

PROJECTION VERS UN SOUS-DEVELOPPEMENT RAPIDE ET DURABLE

Qu’est-ce qui a changé ? Où en est-on en ce mois d’août 2007 (année de rédaction de cet article) ? En tout cas -et tant pis pour les râleurs improductifs de service mais je garderai mon style personnalisé jusqu’à mon dernier souffle-, je m’auto-satisfais que ce soit à la veille de mes 53 ans (le 6 août) que j’ai pu transmettre ce travail de longues recherches qui, je l’espère, ouvriront les yeux à énormément de gens. Positivement. Qu’ils soient Malgaches ou « Vazaha ».

Car, face à des situations qui nous dépassent, on oublie souvent de se poser le pourquoi des choses, préférant la solution de facilité qui consiste à constater simplement. A présent, nous voilà tous concernés ! Alors par où commencer pour faire évoluer et changer ces sales mentalités de colonisé, de colonisateur et, la plus dangereuse, de décolonisé nanti d’un pouvoir suprême, en cette année 2014 ? Personne ne se sent responsable de l’actuelle situation dictatoriale, de cet état de non-droit, et, pire encore, tous rejettent les responsabilités sur d’autres. Quant à ceux qui ont accédé au pouvoir grâce à la concussion mise au goût du jour, le peuple n’a rien à attendre d’eux. Les milliards attendus des bailleurs de fonds vont réactiver cette mentalité d'éternels assistés qui a fini par coller à la peau intentionnellement voulue par les dirigeants élus depuis le retour de l'Indépendance. Madagascar n’est pas sorti de l’auberge du sous-développement avancé, rapide et durable, croyez-moi. Mais je vous remercie de m’avoir lu jusqu’ici.

Jeannot Ramambazafy – 15 mai 2014

Texte original rédigé le dimanche 5 août 2007

Mis à jour ( Dimanche, 18 Mai 2014 12:26 )  
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